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Union européenne : une étude sur l’évaluation des pratiques de lutte contre les enregistrements de noms de domaine spéculatifs et abusifs

En mai 2020, une étude menée par le cabinet Fasano Paulovics a été publiée par la Commission européenne sur « l’évaluation des pratiques de lutte contre les noms de domaine spéculatifs et abusifs » (European Commission, “Study on evaluation of practices for combating speculative and abusive domain name registrations”, May 2020 : ISBN 978-92-76-20634-7). C’est une étude richement documentée et ambitieuse qui intéressera les gestionnaires de portefeuilles de marques et de noms de domaine et les spécialistes du contentieux des noms de domaine. Pour les besoins de cet article, nous nous focaliserons sur deux points : la coopération des acteurs et le règlement extrajudiciaire des litiges.

La marque et le nom de domaine sont un peu jumeaux. La tendance est à la recherche d’une certaine automatisation de l’harmonisation des portefeuilles de marques et de noms de domaine. Harmoniser signifie que le dépôt d’une marque s’accompagne simultanément de l’enregistrement du nom de domaine équivalent ou vice versa. Marque et nom de domaine forment un binôme indissociable (par ex. : une marque européenne et un nom de domaine .EU). Harmoniser rigoureusement les portefeuilles permet de valoriser non seulement ces derniers mais également chaque binôme, ce qui est d’autant plus apprécié par les investisseurs. La concomitance est importance pour deux raisons au moins. Premièrement, cette simultanéité réduirait les possibilités de dépôt spéculatifs de marques (trademark squatting) ou d’enregistrement spéculatifs de noms de domaine (cybersquatting). Secondement, un tel mécanisme sensibiliserait les entreprises (surtout les petites et moyennes entreprises) à la gestion de portefeuilles de leurs droits de propriété intellectuelle qui, le plus souvent, constituent leur principal atout.

À cet effet, Eurid (le registre des ccTLDs de l’Union européenne) et l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle ont commencé, depuis 2016, un rapprochement visant à intégrer les enregistrements de noms de domaine .EU dans les dépôts de marques européennes (v. Étude, pp. 22 à 33). Par exemple, comme le rappelle l’étude à la commission, à l’issue d’un dépôt électronique de marque auprès de l’OUEPI, ce dernier informe les déposants quant à la disponibilité ou l’indisponibilité du nom de domaine correspondant sous l’extension . EU (v. Étude, p. 31). Les auteurs de l’étude suggèrent la mise en œuvre d’un tel mécanisme par l’Eurid qui, dès lors, informerait le déposant d’un nom de domaine quant à la disponibilité ou l’indisponibilité de la marque européenne. Par ailleurs, un tel dispositif comporte un autre avantage considérable : celui d’alerter le déposant en cas de droits antérieurs. Cependant, il faut prendre garde à ne pas donner à ces mécanismes les vertus qu’ils n’ont pas. En effet, ils ne sauraient se substituer à une recherche d’antériorité menée avec rigueur par un avocat ou un conseil en propriété industrielle.

Il est permis de douter de l’efficacité d’un tel mécanisme d’alerte face à la détermination d’un cybersquatter puisque ce dernier aura toujours la liberté de s’approprier un nom de domaine similaire (typosquatting). En effet, quand bien même il recevrait une alerte quant à la possible illégalité du nom de domaine qu’il envisage d’enregistrer, si sa volonté est d’abuser, il abusera. Certes, on pourrait envisager des mesures techniques interdisant l’enregistrement de noms de domaine identiques ou similaires à des marques. Cependant, de telles mesures seraient probablement jugées contraires à la liberté d’expression, à la liberté d’entreprendre ou à la liberté de création telles qu’elles sont protégées par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales. Par conséquent, les modes de prévention étant limités, il faut envisager les méthodes de règlement de litiges.

Dans le cadre de la procédure extrajudiciaire de règlement des litiges en vigueur (la bien nommée « ADR »), le demandeur doit débourser 1300 euros, a minima. Cette somme ne lui sera jamais restituée, ce qui est totalement contraire à l’idée que chacun se fait de la justice européenne. Des pistes de réflexion sont envisagées. La première porte sur la médiation (v. Étude, not. pp. 100-101). Or, pour garantir son efficacité à long terme, la médiation ne peut se dérouler qu’entre parties de bonne foi. En effet, il serait incohérent d’imaginer que les cybersquatteurs participeraient à la médiation avec toute la bonne volonté requise. En tout état de cause, à longue échéance, la médiation bénéficierait systématiquement aux cybersquatteurs puisqu’elle n’aurait pour seul effet que de baisser le coût de l’acquisition du nom de domaine dans le cadre d’une transaction. En revanche, l’institution d’un arbitrage accéléré (v. Étude, p. 74) transformerait le panéliste en arbitre, ce qui lui conférerait notamment le pouvoir d’ordonner le remboursement des frais engagés dans le cadre de la procédure, voire de prononcer des réparations. Un tel mécanisme s’appuierait sur la Convention de New York pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales, à laquelle tous les États de l’Union européennes sont membres. Le succès d’un tel dispositif arbitral serait conditionné par un coût abordable et par l’assurance d’une identification infaillible des titulaires de noms de domaine par les bureaux d’enregistrement, dès lors soumis à une obligation de résultat sanctionnée par sa mise en cause aux fins de paiement des frais de procédure et, le cas échéant, d’éventuels dommages-intérêts.