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Romag Fasteners, Inc. c. Fossil Group, Inc. : l’attribution des bénéfices tirés de la contrefaçon n’est pas subordonnée à la démonstration de l’intention délictueuse

La société Romag Fasteners produit des boutons-pression magnétiques. Elle a accordé une licence à la société Fossil qui les incorpore dans ses sacs à main. Quelques années après la signature de la licence, Romag a découvert que Fossil — ou plus exactement son fabricant chinois — recourrait à des boutons-pression de contrefaçon. Romag a poursuivi Fossil. Un jury a reconnu la responsabilité de cette dernière et l’a condamnée, notamment, à payer à Romag une somme calculée sur les bénéfices réalisés, nonobstant le caractère non délibéré de la violation des droits de propriété intellectuelle. De péripétie en péripétie, l’affaire s’est retrouvée devant la Cour suprême des États-Unis qui devait ainsi répondre à la question suivante :

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En vertu de la Section 35(a) du Lanham Act, 15 U.S.C. § 1117(a),  la preuve de l’intention du contrefacteur constitue-t-elle une condition préalable à l’allocation des bénéfices résultant de la contrefaçon ?

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Cette section dispose :

“a) Bénéfices; dommages et frais; les honoraires d’avocat

Lorsqu’une violation de tout droit du titulaire d’une marque enregistrée au Bureau des brevets et des marques, une violation en vertu de l’article 1125(a) ou (d) du présent titre, ou une violation délibérée en vertu de l’article 1125(c) de ce titre, a été établie dans toute action civile découlant du présent chapitre, le demandeur a le droit, sous réserve des dispositions des articles 1111 et 1114 du présent titre, et sous réserve des principes d’equity, de recouvrer (…) les bénéfices du défendeur (…). Le tribunal évaluera ces bénéfices (…) ou fera en sorte qu’ils soient évalués sous sa direction. Pour évaluer les bénéfices, le demandeur ne devra prouver que les ventes du défendeur ; le défendeur doit prouver tous les éléments de coût ou de déduction réclamés. (…) Si le tribunal constate que le montant de la récupération sur la base des bénéfices est soit insuffisant, soit excessif, le tribunal peut, à sa discrétion, prononcer un jugement pour la somme qu’il jugera juste, selon les circonstances de l’affaire. Cette somme dans l’une ou l’autre des circonstances ci-dessus constitue une compensation et non une pénalité (…).”

Pour mémoire, la section 1125 concerne diverses atteintes au droit de marque. La section 1117 porte sur les paragraphes (a) et (d) de la section 1125. La section 1125(a), intitulée “Action civile” prévoit la responsabilité civile de toute personne qui utilise, dans le commerce, “un mot, un terme, un nom, un symbole ou un dispositif, ou une combinaison de ceux-ci” d’une manière qui cause un risque de confusion quant à l’origine du produit. Le paragraphe (b) de la même section concerne les importations. Le (c) vise le concept de “dilution” qui s’applique aux marques notoires. Quant à la section 1125(d), elle concerne les délits commis dans l’environnement numérique. En l’occurrence, c’est la section 1125(a) qui était visée.

L’affaire Romag Fasteners c. Fossil a mis en exergue une profonde discordance jurisprudentielle. En effet, pour la moitié des circonscriptions (circuits), la preuve de cette intention était nécessaire, tandis que pour l’autre moitié, elle ne l’était pas. La décision de la Cour suprême était donc très attendue car, quelle que soit la solution retenue, elle allait modifier la jurisprudence dans la moitié des circonscriptions.


En rouge : 1er, 2e, 8e, 9e, 10e et D.C. (l'intention est requise) / En vert : 3e, 4e, 5e, 6e, 7e et 11e circuits (l'intention n'est pas requise)
En rouge : 1er, 2e, 8e, 9e, 10e et D.C. (l’intention est requise) / En vert : 3e, 4e, 5e, 6e, 7e et 11e circuits (l’intention n’est pas requise)

Compte tenu de l’importance de la décision à venir, plusieurs associations représentant les victimes de violation de propriété intellectuelle ont présenté un mémoire d’amicus curiaeLa division est telle que même les associations de protection des droits de propriété intellectuelle n’ont pas réussi à accorder leurs violons (en particulier, l’Intellectual Property Owner Association se démarque clairement des autres associations) :

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La Cour suprême a tranché, à l’unanimité, dans une décision dont la brièveté révèle l’absence d’hésitation. En voici l’attendu principal :

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Un demandeur dans une action en contrefaçon de marque n’est pas tenu de prouver qu’un défendeur a délibérément violé la marque du demandeur comme condition préalable à l’octroi des bénéfices tirés de la contrefaçon. La disposition du Lanham Act régissant les recours en cas de violation de marque, section §1117(a), fait de la preuve de la volonté une condition préalable à l’octroi de bénéfices en vertu de la section §1125 (c) pour dilution de marque, mais la section §1125 (a) n’a jamais exigé une telle démonstration.

Romag Fasteners, Inc. c. Fossil Group, Inc., n° 18-1233, Slip Op. (S.Ct.23 avril 2020).

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L’arrêt Romag Fasteners, Inc. c. Fossil Group, Inc. enterre une divergence jurisprudentielle tout en adoptant une solution favorable aux victimes de la contrefaçon qui ne peuvent pas nécessairement défendre leur marque sur le fondement d’une atteinte à la notoriété (dilution). La globalisation et la numérisation emportent deux conséquences qu’il faut de garder à l’esprit. D’une part, les entreprises les moins renommées, lorsqu’elles existent sur Internet, sont de plus en plus souvent la cible des contrefacteurs qui, délibérément, portent atteinte aux droits de marques de ces entreprises en espérant tirer des bénéfices de cette activité tout en passant sous les radars. D’autre part, la globalisation et la numérisation, mais aussi la concurrence qu’elles ont exagérée, ont sans doute contribué à réduire la vigilance nécessaire dans le choix des partenaires commerciaux. Les circonstances peuvent, en effet, amener certaines entreprises à se lier avec des contrefacteurs sans qu’elles en aient conscience.

Le principe selon lequel l’intention du contrefacteur est indifférente doit être défendu pour la simple raison qu’il contraint les opérateurs du commerce à un devoir de vigilance à l’égard de la contrefaçon. La décision pourrait ouvrir la voie à une sorte de devoir de vigilance concernant la contrefaçon dont la nature éthique rejoindrait les principes qui gouvernent la responsabilité sociale des entreprises. La contrefaçon mériterait d’être combattue au même titre et avec la même rigueur que le blanchiment d’argent.

Concrètement, c‘est donc sur l’appréciation de l’exécution d’une telle obligation que le juge devrait placer le curseur afin, non pas de décider si les circonstances imposent l’attribution des bénéfices indus, mais simplement pour évaluer le montant de l’allocation. 


Romag Fasteners, Inc. c. Fossil Group, Inc., n° 18-1233, Slip Op. (S.Ct.23 avril 2020).

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