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“Get off of my cloud” : l’exclusion de marchandises contrefaisant le logo des Rolling Stones

En mai 2019, la direction régionale des douanes du Havre, se fondant sur l’article L. 716-8 du Code de la propriété intellectuelle (Legifrance.gouv.fr), notifia la société M. BV qu’elle avait saisi 1000 écussons similaires à ses marqueseuropéennes (cf. ci-dessous). La société E avait importé des écussons imitant le logo des Rolling Stones, à cette différence près que le rouge des lèvres avaient été remplacé par le drapeau breton (cf. ci-dessous).



La société M. BV est titulaire des droits de propriété intellectuelle attachés au logo des Rolling Stones, dont les droits de sur les marques susvisées. La société demanderesse revendiquait, pour ces marques, le statut de marques renommées, dont la protection est assurée en vertu de l’article 9-2 c) du règlement 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne (eur-lex.europa.eu). Ainsi la société M. BV devait démontrer cette renommée. En la matière, la preuve étant libre, elle peut être apportée par tous moyens : par son histoire, son ancienneté et son étendue géographique, par des investissements via des documents commerciaux et publicitaires, par des articles de presse ou encore par des sondages, des études de marché et des statistiques de consultation de sites Internet. En l’espèce, la société M. BV a produit plusieurs coupures de presse et rappelé notamment que le logo des Rolling Stones est né en 1971, qu’il accompagne les musiciens depuis lors, que l’œuvre originale a été acquise en 2008 par le Victoria and Albert Museum et qu’il fait l’objet d’un usage commercial intensif à l’occasion des concerts des Rolling Stones, mais aussi grâce à des partenariats, notamment (précise le tribunal) avec la société Zara ou encore des équipes de football de Ligne 1, à savoir l’Olympique de Marseille et le Paris Saint-Germain. D’où la conclusion du tribunal : « les marques en cause, qui sont connues d’une partie significative du public concerné pour les produits et services couverts par elles, en particulier en classes 25 (vêtements) et 41 (divertissement), jouissent d’une importante renommée dans l’Union européenne ».

La société M. BV est également présumée titulaire des droits d’auteur attachés à l’œuvre, son auteur, M. John Pasche, les lui ayant cédés en 1976. À cet égard, la société M. BV a produit un contrat datant de 1982 présenté comme réaménageant le contrat de cession de 1976, lequel n’a pas été communiqué au tribunal. Pourvu qu’il n’ait pas disparu ! En tout état de cause, le tribunal rappelle « qu’une personne morale peut être présumée titulaire des droits d’exploitation à l’égard des tiers si elle commercialise l’oeuvre sous son nom de façon non équivoque en l’absence de revendication du ou des auteurs ». Or la preuve d’une telle exploitation commerciale a été apportée, ce dont il résulte que la société M. BV doit être présumée titulaire desdits droits d’auteur. Mais quid de l’originalité de l’œuvre ? La société E., défenderesse,brandissait l’argument selon lequel l’auteur se serait très (sous-entendu « trop ») fortement inspiré des lèvres rouges de ladéesse Kali, tirant la langue. La source d’inspiration n’est pas contestée. Mais pas de quoi affirmer sans sourciller que l’œuvre de John Pasche ne serait qu’une « banale reprise d’un fonds commun non appropriable » (pour reprendre les termes du tribunal). Il faut bien reconnaître que l’argument, pour le moins fantasque, n’avait aucune chance de prospérer. Et le tribunal judiciaire de Paris de conclure :

« la société M. BV explicite que le logo conçu par John PASCHE, s’il s’inspire en effet des images orientales, y associe cependant des éléments émanant d’un univers psychédélique et traduit un message invitant à un bouleversement des moeurs, traduisant une vision propre de John PASCHE, de sorte que le logo revendiqué reproduit sur le patch “Rolling Stones Classic Tongue Patch” porte l’empreinte de la personnalité de M. PASCHE et est original ».

La société M. BV était donc autorisée à déposer une demande d’intervention auprès des douanes, à pratiquer une saisie sur les marchandises arguées de contrefaçon et à agir en contrefaçon devant le tribunal judiciaire de Paris. Au demeurant, ce dernier a conclu que la société E avait commis des actes de contrefaçon de marque et de droits d’auteur.

Concernant la contrefaçon de marque, le tribunal a considéré que les écussons en question ne se distinguaient de la marque que par l’apposition, sur les lèvres, des motifs du drapeau breton (ou « Gwen Ha Du »), ce qui ne suffisait pas à écarter « le risque de confusion dans l’esprit du consommateur d’attention moyenne, qui sera amené à croire qu’il existeun partenariat entre les parties (…), [le] public qui sera amené à considérer que le signe litigieux est une déclinaison autorisée des marques de la société M. BV destinée à promouvoir des événements musicaux liés à des concerts de rock en Bretagne ». Le tribunal a rappelé, en visant la décision Sabel BV c. Puma AG, Rudolf Dassler Sport, que « le risque de confusion est d’autant plus élevé que le caractère distinctif de la marque antérieure s’avère important » (CJUE, 11 nov. 1997, Sabel BV c. Puma AG, Rudolf Dassler Sport, aff. C-251/95, para. 6). Enfin, il a ajouté qu’il importait peu que les marques « aient été détournées à des fins humoristiques dès lors que le risque de confusion est caractérisé ».

S’agissant de l’atteinte aux droits d’auteur, le tribunal a également écarté l’exception de parodie sur le fondement de l’article L. 122-5 4° du Code de la propriété intellectuelle et de la décision Deckmyn c. Vandersteen (CJUE, 3 sept. 2014,Deckmyn c. Vandersteen, aff. C-201/13 : curia.europa.eu), laquelle détermine les orientations qu’il convient d’adopter en présence d’un conflit opposant le droit d’auteur et la liberté d’expression. En l’espèce, le tribunal judiciaire de Paris a adopté le raisonnement suivant :

« les écussons litigieux importés par la société E. ne reproduisent aucun texte et, par eux-mêmes, apparaissent dépourvus d’un quelconque effet parodique, caricatural ou humoristique que ne comporterait pas déjà l’oeuvre originale, cet effet ne pouvant découler de la seule impression du drapeau breton au niveau des lèvres du logo ».

Faute de commercialisation et d’informations complémentaires quant conséquences économiques négatives de la contrefaçon et quant aux bénéfices réalisés par le contrefacteur, le tribunal n’a été mis en mesure d’estimer que le préjudice moral subi par la société M. À cet égard, il a considéré que ce préjudice serait justement réparé par l’allocation des sommes de 10000 et 5000 euros, respectivement pour la contrefaçon des marques et pour l’atteinte aux droits d’auteur.


Source : Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 1re sect., 25 février 2021, N° RG 19/08859 et N° Portalis 352J-W-B7D-CQMRC