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Noms de domaine internationalisés : définition, enjeux et état des lieux

Une révolution linguistique est en marche, qui n’épargne aucune langue écrite. Alors que l’on estime le nombre de langues parlées autour de 7000, les linguistes recensent environ 200 langues écrites. Pour une poignée d’entre elles, l’Internet offre un stimulant inédit, tandis que les autres sont contraintes d’entrer dans une forme de résistance. Dans ce contexte, le nom de domaine représente un indicateur de l’avancement dans le processus de développement du multilinguisme dans le monde numérique. Qu’est-ce qu’un nom de domaine internationalisé ou multilingue ? Quels en sont les enjeux et les fondements ? Telles sont les questions auxquelles nous apporterons un début de réponse dans le présente article.

1. Définition

À l’origine, l’Internet ne connaissait que les caractères « A-Z », « 0-9 » et le tiret « – ». Ce groupe de caractères est appelé « American Standard Code for Information Interchange » (ASCII). Un nom de domaine comportant au moins un caractère non-ASCII est un nom de domaine internationalisé (IDN) (IETF, RFC 5890, para. 2.3.2.3). Dès le milieu des années 1990, à l’aube de la globalisation de l’Internet, les ingénieurs du Domain Name System (DNS) ont commencé à développer les protocoles nécessaires à l’internationalisation des noms de domaine. Le procédé est complexe car il repose, en partie, sur la translitération d’une suite de caractères non-ASCII en une suite de caractères ASCII, précédée du préfixe « xn--» (dit « ACE prefix »). Après quelques tentatives, un protocole développé par l’Internet Engineering Task Force (IETF) fut approuvé par l’Internet Engineering Steering Group (IESG) (RFC 5890, ISSN 2070-1721). Dans un premier temps, ce sont les noms de domaine internationalisés qui furent rendus disponibles puis, dans un second temps, les domaines de premier niveau. Aujourd’hui, la technique permet d’enregistrer des noms de domaine sous la forme idn.idn.

2. Enjeux et fondements

Les « processus de mondialisation, facilités par l’évolution rapide des technologies de l’information et de la communication, s’ils créent les conditions inédites d’une interaction renforcée entre les cultures, représentent aussi un défi pour la diversité culturelle, notamment au regard des risques de déséquilibres entre pays riches et pays pauvres » (Préambule de la Convention de l’UNESCO du 20 octobre 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, « CDEC » : unesco.org). Signé par plus de 140 États, la CDEC est entrée en vigueur le 18 mars 2007 (NB : les États-Unis ne l’ont pas signée). La  Déclaration universelle de l’UNESCO du 2 novembre 2001 sur la diversité culturelle (unesco.org) comportait déjà des affirmations et objectifs allant dans ce sens. Enfin, les travaux issus du Sommet Mondial pour la Société de l’Information confortent systématiquement l’impérieuse nécessité de promouvoir la diversité culturelle pour cicatriser la fracture qui s’était installée pendant la première décennie de l’Internet. Imaginerait-on que les panneaux des rues de France, du Québec, du Japon, de Jordanie, du Cameroun ou de Colombie soient affichés dans une langue exclusive ? Les noms de domaine étant des adresses numériques, leur internationalisation était inéluctable. Dans ce contexte, les IDNs peuvent contribuer à préserver et à promouvoir des savoirs divers, disponibles parfois dans le seul langage compréhensible par l’apprenant. Les IDNs peuvent donc jouer un rôle central. « Dans la société de l’information, la langue, en plus d’être un moyen de communication, joue un rôle socioéconomique semblable à celui de l’argent dans la société industrielle. Alors que l’argent est utilisé pour acquérir des biens matériels, la langue sert à obtenir des connaissances et des biens immatériels » (A. El Zaïm, Avant-propos in D. Osborn, Les langues africaines à l’ère du numérique. Défis et opportunités de l’informatisation des langues autochtones, Presses de l’université de Laval, 2011, p. 2).

Les enjeux sont tels que l’UNESCO s’implique énergiquement pour un Internet multilingue et inclusif ; contre l’idée d’une hégémonie linguistique qui, par définition, serait exclusive. À cet égard, l’UNESCO a conclu des partenariats avec l’ICANN et Eurid (le registre des domaines de premier niveau européen : eurid.eu). Le premier a pour objectifs de soutenir l’introduction d’IDNs « afin d’offrir de nouvelles opportunités et de nouveaux avantages aux internautes du monde entier en leur permettant d’établir et d’utiliser des domaines dans leurs langues et scripts natifs » (article 1er) et « collaborer pour explorer le potentiel d’aide au développement dans le renforcement des capacités pour participer activement à la construction d’un Internet inclusif et multilingue » (ibid.) (ICANN-UNESCO Memorandum of Understanding, 10 déc. 2009). À cette occasion, le président de l’ICANN avait rappelé que « plus de la moitié des utilisateurs d’Internet [avaient] pour langue maternelle une langue dont l’écriture ne fait pas appel à des caractères ASCII. Les IDNs rendront l’Internet plus global et plus accessible à tous » (unesco.org, 10 déc. 2012). Le partenariat entre l’UNESCO et l’ICANN a été conforté l’année suivante par une lettre d’intention conjointe (Letter of Intent between UNESCO and ICANN, 16 sept. 2010). Le second partenariat, avec Eurid, se concrétise par la publication d’un rapport annuel conjoint dont le but est d’analyser l’évolution des IDNs (idnworldreport.eu).

Toutefois, les enjeux ne sont pas uniquement culturels et linguistiques. Ils posent aussi des questions d’ordre économique et sociétal qui, dans une mesure loin d’être négligeable, ont un impact sur l’accès aux savoirs et donc au développement, de telle sorte et à tel point que l’on se rapproche des enjeux de pouvoirs et de souveraineté.

3. Statut

L’évolution des ccTLDs internationalisés se réalise principalement à travers la procédure accélérée élaborée par l’ICANN le 16 novembre 2009 (icann.org). Le tableau suivant présente les ccTLDs IDNs créés dans le cadre de cette procédure. Actuellement, tous ces IDNs ont passé la phase de délégation, sauf xn--mgb2ddes اليمن (pour le Yémen) et xn--4dbrk0ce ישראל (pour Israël), dont la phase de délégation est en cours.


Source : icann.org


Un TLD internationalisé ne constitue pas nécessairement la traduction ou la translitération d’un ccTLD ASCII. En effet, un TLD internationalisé peut également être un generic TLD, c’est-à-dire un TLD identique à un mot générique. En 2012, lorsque l’ICANN a appelé à la création de nouveaux gTLDs, elle a reçu plus d’une centaine de demandes portant sur des extensions génériques internationalisées. À titre d’exemple, le .com existe dans d’autres scripts : .คอม (thaï), .कॉम (hindi), .كوم‎ (arabe), .ком (russe).

Un TLD internationalisé peut également refléter un brandTLD, c’est-à-dire un TLD identique à une marque. Le monde des affaires étant dominé par la langue anglaise, les brandTLDs internationalisés sont relativement peu nombreux. Cependant, certains marchés sont suffisamment vastes et/ou stratégiques pour convaincre des entreprises d’acquérir un brandTLD internationalisé. En outre, il existe des entreprises qui « glocalisent » leurs marques non seulement en enregistrant la traduction ou la translitération de leurs marques dans le ou les États qui forme(nt) le marché convoité, mais aussi en utilisant des brandTLDs internationalisés identiques à la traduction ou à la translitération de leurs marques. Ce faisant, l’entreprise fait parvenir son message commercial dans la langue du consommateur ciblé. Cette stratégie commerciale repose sur la raison d’être des marques : la capacité à identifier l’origine des produits. En outre, il va sans dire que cette démarche revêt également une forme de respect à l’égard de la culture du consommateur concerné. C’est, par exemples, le cas des TLDs suivants : .大众汽车 (.Volkswagen, en chinois), .飞利浦(Philips, en chinois), .谷歌 (.Google, en chinois), .诺基亚 (Nokia, en chinois) et .亚马逊/.アマゾン (.Amazon, respectivement en chinois et en japonais). Certaines entreprises, dont le siège historique se situe dans un pays dans lequel le système d’écriture est différent du système latin, ont acquis des brandTLDs internationalisés. C’est notamment le cas des sociétés chinoises Weibo (.微博, en chinois), PCCW (.電訊盈科, en chinois) et CITIC Group (.中信, en chinois), des sociétés hongkongaise Shangri-la Hotels and Resorts (.香格里拉, en chinois) et Kerry Logistics (.嘉里), de la société singapourienne Temasek (.淡马锡, en chinois), de la société saoudienne Aramco (.ارامكو‎) ou encore de la société coréenne Samsung (.삼성, en coréen).

Enfin, qu’il s’agisse d’un gTLD ou d’un ccTLD, chaque registre décide des scripts et langages qui seront mis à la disposition du public. Parmi les gTLDs, à titre d’illustration, le .com est disponible dans plusieurs langues, dont le chinois, l’arabe, le français, l’espagnol, le japonais ou encore le coréen (iana.org, Repository of IDN Practices). De même, il est possible d’enregistrer des noms de domaine .pizza, .career.coffee, .school ou .science dans plusieurs langues.

Quant aux brandTLDs, chaque délégataire décide en fonction de sa politique commerciale. Les entreprises d’envergure mondiale ont tout intérêt à mettre à la disposition de leurs équipes régionales des noms de domaine dans une langue intelligible pour le consommateur ciblé. Par exemples, les brandTLDs .accenture, .bing, .shell, .swatch, .tiffany ou encore .windows peuvent être enregistrés dans un grand nombre de langues (iana.org, Repository of IDN Practices).