Le 28 février 2020, le tribunal judiciaire de Lille a rendu un jugement (Legalis.net) dont les faits, tout autant que la réparation prononcée, méritent une grande attention. Voici les faits en bref :
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Il faut retenir que M. X. s’était glissé dans les mailles du filet en étant persuadé qu’elles ne se refermeraient pas sur lui et sa société.
La société Jeco demandait au tribunal de juger, d’une part, que le dépôt de marque du 7 mars 2017 (n° 4343637) avait été effectué frauduleusement par M. X et, d’autre part, que ce dernier, avec la société Univers Graphique, avaient commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire. En conséquence, la marque frauduleuse devait lui être transférée.
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Le dépôt frauduleux
La demande reposait sur un double fondement : l’article L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle et l’adage Fraus omnia corrumpit. Le premier dispose :
Si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d’un tiers, soit en violation d’une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice (…)
Le second, Fraus omnia corrumpit, est principe général du droit qui concourt à une certaine moralisation de la vie des affaires. La mise en oeuvre de ce principe fait obstacle à ce que la fraude profite à son auteur. Le tribunal judiciaire de Lille était donc invité à rappeler le rôle de Fraus omnia corrumpit dans le contexte du dépôt frauduleux de marque :
Un dépôt doit être considéré comme frauduleux lorsque le droit de marque n’est pas constitué et utilisé pour distinguer des produits ou des services en identifiant leur origine, mais est détourné de sa fonction dans la seule intention de nuire aux intérêts d’un tiers en le privant intentionnellement d’un signe qu’il utilise ou s’apprête à utiliser.
L’action fondée sur l’article L. 712-6 impose au revendiquant de justifier de l’intention du déposant de le priver d’un signe nécessaire à la poursuite de son activité et de rapporter la preuve de l’existence d’intérêts sciemment méconnus par ce dernier.
Enfin, l’enregistrement frauduleux d’une marque peut être annulé sur la base de l’adage “fraus omnia corrumpit” (la fraude corrompt tout).
Afin de démontrer l’intention de nuire, l’intention frauduleuse, Jeco devait démontrer que M. X. et Univers Graphique n’ignoraient pas l’existence de la société Jeco (donc, de sa dénomination sociale), de la marque JECO déposée en 2013 (classe 9), de son nom de domaine jeco-distribution.com et de sa présence sur Amazon. La société Jeco a également prouvé que M. X. et Univers Graphique exploitaient la marque JECO pour vendre, sur de multiples plateformes Internet (dont Amazon), des produits concurrents à ceux de la société JECO. Enfin, la société JECO a également démontré que la société Univers Graphique n’avait fait aucune utilisation de la marque JECO antérieurement au dépôt de 2017. Compte tenu des circonstances, la demande d’opposition émanant de M. X. était tout à fait hardie. D’où la conclusion du tribunal :
M. X. a délibérément déposé la marque “Jeco”, non pas pour distinguer ses produits en identifiant leur origine, mais dans le but de confisquer à son profit un signe nécessaire à la poursuite de l’activité de la société Jeco Distribution, caractérisant ainsi un détournement de la fonction de la marque dans une intention nuisible à cette dernière, est suffisamment rapportée.
Le transfert de la marque s’imposait.
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La concurrence déloyale et parasitaire
Selon la demanderesse, les défendeurs avaient commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire en déposant la marque litigieuse pour l’exploiter sur Amazon et ainsi “être référencée au moyen de cette marque“. La preuve en ayant été apportée, le tribunal judiciaire de Lille a conclu, en faisant une application classique de la formule consacrée au parasitisme :
Le fait de déposer une marque utilisée par un concurrent et non protégée (pour les produits concernés par le présent litige) dans le but d’obtenir la visibilité créée par ce concurrent sur un site de vente en ligne, de façon à tirer profit de ses investissements financiers et intellectuels pour parvenir sans bourse délier à vendre des produits similaires voire identiques, caractérise la concurrence déloyale et parasitaire que la société Jeco Distribution reproche à la société Univers Graphique.
Il va sans dire que de tels agissements devaient donner lieu à réparation. Mais comment l’évaluer ? En l’espèce, étant donné que la demanderesse n’avait pas justifié sa demande à hauteur de 30 000 euros, le tribunal a exercé son pouvoir d’appréciation et fixé la réparation à 9 000 euros. En l’absence des pièces, il est impossible de présumer de la justesse d’une telle somme. Cependant, il était possible d’obtenir des défendeurs qu’ils révèlent les bénéfices réalisés à l’aide de l’exploitation de la marque JECO sur la période concernée, ce qui inclut par exemples les ventes effectuées sur Amazon.
Enfin, à titre de réparation civile complémentaire, il serait judicieux d’envisager la possibilité d’ordonner la publication judiciaire de la décision ou de son dispositif sur la page Amazon de la partie succombante afin qu’elle soit portée à la connaissance des consommateurs, et ce dans le respect de l’anonymat de la personne physique concernée.
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