Par une résolution du 3 mai 2019, le Conseil d’administration de l’Internet Corporation for Assigned Domain Names (ICANN) a donné son approbation au Canadian International Internet Dispute Resolution Centre (CIIDRC, CIIDRC.org), une branche du British Columbia International Commercial Arbitration Centre (bcicac.com), comme institution de règlement des litiges relatifs aux noms de domaine relevant de l’Uniform Domain Name Disputes Resolution Policy (UDRP) (icann.org, 2019-03-19). Il est opportun de rappeler que le BCICAC gère les litiges relatifs aux noms de domaine canadiens (.CA) depuis 2002 (bcicac.com).
Ce faisant, le CIIDRC a rejoint le groupe d”nstitutions accréditées par l’ICANN pour administrer les procédures UDRP :
– Arab Center for Domain Name Dispute Resolution (ACDR) ;
– Asian Domain Name Dispute Resolution Centre (ADNDRC) et ses quatre divisions à :
– Hong Kong (Hong Kong International Arbitration Center, HKIAC) ;
– Pékin (China International Economic and Trade Arbitration Commission, CIETAC) ;
– Séoul (Asian international Arbitration Centre, AIAS) ; et
– Kuala Lumpur (Internet Address Dispute Resolution Committee, IADRC) ;
– Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) ;
– Czech Arbitration Court Arbitration Center for Internet Disputes ; et
– National Arbitration Forum.
Le CIIDRC est désormais opérationnel. Ses règles supplémentaires sont publiées (CIIDRC.org), ainsi que sa liste de tiers-décideurs (CIIDRC.org) et même quelques bons conseils pour la rédaction des plaintes UDRP (CIIDRC.org, 18 févr. 2020) ou pour éviter de commettre des erreurs (CIIDRC.org, 6 sept. 2019). Quant aux frais applicables, l’institution a adopté les suivants :
Le CIIDRC rappelle à bon escient (CIIDRP.org) que l’UDRP est applicable non seulement aux gTLDs (anciens et nouveaux), mais également à plusieurs ccTLDs (CIIDRC.org), dont les .CC (Îles Cocos), .CD (République démocratique du Congo ou Congo Kinshasa), .CO (Colombie), .LA (Laos), .ME (Monténégro), .NU (Niue), .RO (Roumanie) ou encore .TV (Tuvalu) ou encore .VE (Vénézuela).
À ce jour, cette toute nouvelle institution a administré quatre affaires qui ont donné lieu à trois décisions, la quatrième affaire ayant été clôturée par les parties elles-mêmes. Parmi les trois décisions rendues, une a été tranchée par une commission de trois membres et les deux autres, par un tiers-décideur unique. Enfin, deux plaintes ont été rejetées et une admise.
Dans l’affaire UDRP-9149 (CIIDRC, UDRP-9149, Jeffrey Edwin Poss v. Jim Laffoley, 17 March 2020), la société demanderesse, Calton Cases (un fabricant d’étuis pour instruments de musique) a pu obtenir le transfert du nom de domaine caltoncases.com qui avait été enregistré en 1999 ! Une si longue atteinte est relativement rare, mais cela n’a rien d’inédit puisque des noms de domaine enregistrés le même année ont été transférés à l’issue de récentes procédures UDRP, dont stevejobs.com (iptwins.com, 2019-12-19) et pabloescobar.com (iptwins.com, 2019-10-16). Dans le même veine, le nom de domaine mandela.org, qui avait été enregistré en 2000, a été transféré en 2019 (iptwins.com, 2019-07-27). Pour en revenir à l’affaire UDRP-9149, la société Calton Cases n’a déposé la marque CALTON CASES qu’en 2013, mais elle disposait d’une marque non enregistrée (utilisée aux États-Unis) depuis 1969. Les faits sont aussi atypiques qu’intéressants. En résumé, A a vendu la société Calton Cases à B. Pour des raisons financières, B n’a pas respecté ses engagements. Malgré tout, il aurait enregistré le nom de domaine caltoncases.com et, depuis, les propriétaires successifs et le propriétaire actuel de la société Calton Cases n’auraient pas réussi à le contacter. À l’aube d’une opération marketing importante pour une petite société telle que Calton Cases, il était utile d’obtenir le transfert du nom de domaine caltoncases.com :
“Nous sommes une petite entreprise et nous comptons sur Internet pour acquérir de nouvelles commandes pour notre produit (…) Nous souhaitons profondément conserver notre ancien nom de domaine avant d’investir des ressources dans notre marketing. J’espère que vous considérerez notre plaidoyer”.
À l’évidence, cela n’est pas suffisant pour répondre aux exigences de l’UDRP. Cependant, il n’est pas vain de rappeler que, dans certaines circonstances, un bon nom de domaine peut contribuer, dans une certaine mesure, au maintien ou au développement de petites ou moyennes entreprises. Plus techniquement, le tiers-décideur a indiqué que le défendeur n’avait jamais utilisé le nom de domaine et, d’une manière générale, rien n’indique que le défendeur ait un quelconque droit ou intérêt légitime sur ce nom de domaine. La véritable difficulté se trouvait dans la preuve de la mauvaise foi du défendeur au jour de l’enregistrement. Étant donné que le défendeur devenait propriétaire de la société, il pouvait légitimement, de bonne foi, considérer qu’il avait le droit d’enregistrer le nom de domaine caltoncases.com (légitimité accordée si l’enregistrement est postérieur à la signature du contrat d’acquisition des parts de la société). Toutefois, comme le rappelle le tiers-décideur, la bonne foi disparaissait en même temps que l’acquéreur manquait à ses engagements :
« De toute évidence, dans la présente affaire, la seule raison pour laquelle le défendeur a pu enregistrer le nom de domaine est qu’il opérait dans le cadre d’un contrat d’acquisition de participations dans la société Calton, aux obligations duquel il a manqué car il faut supposer qu’il était tenu d’en respecter les termes et d’en payer le montant. De plus, selon les éléments de preuve de la demanderesse, ce manquement a été suivi, d’une part, d’une décision de justice canadienne en faveur de la demanderesse et, d’autre part, du renouvellement apparemment non autorisé du nom de domaine”.
En se référant, par analogie, aux décisions OMPI D2001-0373 et OMPI D2008-1492, le tiers-décideur est parvenu à la conclusion selon laquelle le défendeur avait enregistré le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.
Quant à la preuve de la mauvaise foi au stade, non plus de l’enregistrement du nom de domaine, mais au stade de son utilisation, le tiers-décideur a jugé que le défendeur “l’avait conservé alors qu’il devait savoir qu’il n’était pas autorisé à le faire, qu’il le conservait, renouvelant apparemment l’enregistrement et refusant de le transférer au propriétaire légitime, tout en sachant qu’il perturbait la marche de l’entreprise Calton Cases“.
La décision UDRP-9149 est, à n’en pas douter, une de celles qu’il importe de retenir.
Dans l’affaire UDRP-5715 (CIIRDC, UDRP-5715, Louis Thibault v. Erling Løken Andersen, December 30, 2019, <omnidrive.com>, denied), la demande de transfert du nom de domaine a été rejetée en raison d’un manque de rigueur (ou tout simplement de preuve) dans la démonstration de la mauvaise foi :
“En vertu des articles 4a) (iii) et 4b), un plaignant doit faire plus que simplement souligner le fait qu’un défendeur possède un portefeuille de noms de domaine afin d’établir le caractère de mauvaise foi dans l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine”.
Enfin, dans l’affaire UDRP-6911 (CIIDRC, UDRP-6911, Autopath Technologies Inc. v. Melanie Chapple, 13 January 2020), bien que le nom de domaine (carnages.com, 2006) était identique à une marque enregistrée antérieurement (CARPAGES, 2004), et que les deux sites Internet désignent des services identiques (la vente de véhicules d’occasion), le tiers-décideur a considéré que le propriétaire de la marque (dont le marché se limite au Canada) n’avait pas démontré que le titulaire du nom de domaine (dont le marché est au Royaume-Uni) avait enregistré ce dernier de mauvaise foi. Au surplus, l’exploitant du site britannique avait démontré un intérêt légitime de la manière la plus appropriée en opposant une marque britannique enregistrée et l’existence d’un site commercial actif. Dommage, certes, pour la société canadienne qui envisageait d’utiliser le nom de domaine carpages.com pour étendre son marché aux États-Unis. Cependant, il importait d’enregistrer ce nom de domaine, indispensable puisque .COM, dès le début de son activité, en 2004. C’est un conseil constant : mieux vaut pécher par excès d’ambition et enregistrer tous les noms de domaine potentiellement utiles à court ou à long terme et, en tout premier choix, le .COM !.