Le cybersquatting est le fait, de mauvaise foi, d’enregistrer un nom de domaine sans pouvoir justifier d’un droit ou d’un intérêt légitime sur ce nom de domaine. Il frappe régulièrement les personnalités politiques, comme en atteste dernièrement un cas touchant le Premier ministre australien, M. Scott Morrison (“Scottmorrison.com.au et Scotty Doesn’t Know ou les déboires du Premier ministre australien”, iptwins.com, 2018-12-28). Il n’est pas rare que les élections soient entachées de pratiques peu judicieuses, pour ne pas dire illégales et dans certains cas, illicites. L’illégalité ou l’illicéité prend parfois la forme d’un nom de domaine. Souvenons-nous, à titre d’illustration, de quelques procédures de référé qui, par le passé, avaient eu pour objet de faire cesser le trouble manifestement illicite que représentait la réservation et l’utilisation non autorisées d’un nom de domaine constitué du nom d’un opposant politique (nous y reviendrons ci-dessous).
Selon toutes vraisemblances, la pratique consistant à enregistrer un nom de domaine composé du nom d’un candidat afin de le rediriger vers le site d’un autre candidat vient d’être renouvelée, aux dépens de madame Agnès Buzyn. En effet, dans un court article publié le 17 février 2020, le journal Libération indiquait que les noms de domaine buzyn2020.fr et agnesbuzyn2020.fr étaient redirigés vers le site de madame Anne Hidalgo, l’une et l’autre étant opposées dans la course à la mairie de Paris (liberation.fr, 2020-02-17). Nous avons pu constater la réalité de ces faits par nos soins. L’actuelle maire de Paris, et candidate à sa propre succession, a immédiatement indiqué que son équipe était étrangère à cette manoeuvre (liberation.fr, 2020-02-17). Pour rappel, c’est le 16 février 2020 que madame Buzyn a été désignée par La République En Marche (LREM) pour conduire la campagne des élections municipales à Paris.
Le premier nom de domaine, buzyn2020.fr, a été enregistré dès le 16 février 2020, immédiatement après la désignation de madame Buzyn. Une telle promptitude dans la réservation de noms de domaine entachée de mauvaise foi est habituelle à l’annonce d’un partenariat commercial ou d’une fusion-acquisition entre deux marques de renommée (iptwins.com, 2018-09-12), à la sortie d’un nouveau produit d’une marque tout aussi célèbre ou lorsque une ville est candidate à l’organisation des Jeux Olympiques. Elle est plus rare en politique !
Quant au second nom de domaine agnesbuzyn2020.fr, il a été enregistré le 21 février 2020, comme en témoigne la fiche Whois ci-dessous.
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En droit français, le nombre de décisions paraît trop peu élevé pour que l’on puisse employer le terme “jurisprudence”. Nous pouvons néanmoins exposer quelques exemples.
Le président du TGI avait ordonné : 1) la fermeture du site (plus exactement de la page concernée et non du site lui-même) dans les deux jours de la signification de l’ordonnance, et ce sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard ; 2) le transfert du nom de domaine sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard à l’expiration du délai de huit jours suivant la signification de l’ordonnance et 3) ; condamné M. Stéphane H. à verser à M. Bayrou la somme de 5 000 euros au titre de préjudice moral (TGI Paris, réf., 12 juillet 2004, François Bayrou / Stéphane H. : Legalis.net).
TGI Paris, réf., 22 mai 2007, Françoise Tenenbaum / Bernard Depierre
Mme Tenenbaum, alors vice présidente du Conseil Régional de Bourgogne, maire adjointe de Dijon et candidate socialiste à la députation dans la 1ère circonscription de Côte d’Or, avait assigné en référé d’heure à heure l’Association pour le financement de la campagne de M. Bernard Depierre (Afcbd), candidat UMP à la députation, en vue de faire cesser l’utilisation du nom de domaine francoisetenenbaum.fr qui était redirigé vers le site de M. Bernard Depierre. Il s’est avéré que le nom de domaine avait été enregistré et utilisé par un tiers. Néanmoins, dès réception de l’assignation, l’association était parvenue à faire supprimer cette redirection et avait même proposé de céder le nom de domaine à Mme Tenenbaum, sans délai et à titre gratuit. Cette échappatoire traduisait bien un lien entre le réservataire du nom de domaine et l’Afcbd. Or ce lien était plus que ténu puisque le premier était membre de la seconde et, à ce titre, également l’auteur du contenu du site Internet de M. Depierre. D’où la décision du président du Tribunal de grande instance (TGI) :
“loin d’être le simple sympathisant visé dans les écritures de l’Afcbd, il ressort de la lecture du site http://blog.bernardepierre.fr sur lequel a été dérouté le nom de domaine www.francoisetenenbaum.fr que Mickael V. est l’auteur de l’ensemble des articles publiés sur le site de Bernard Depierre dont il a eu en charge l’organisation, au moins jusqu’à la délivrance de l’assignation, selon les déclarations recueillies contradictoirement à la barre, de sorte que l’Afcbd, titulaire du nom de domaine litigieux doit répondre en tout état de cause des conséquences dommageables à l’égard des tiers des agissements de son mandataire, aurait-il excéder ses pouvoirs ;
Attendu que les circonstances de l’espèce justifient qu’il soit fait droit à la demande de publication de la présente décision mais dans la limite des sites internet directement concernés, à l’exclusion de la presse régionale et nationale”.
À la suite de quoi le président du tribunal avait condamné par provision l’Afcbd à payer à Françoise Tenenbaum la somme de 5000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice. Le juge avait également ordonné la publication de la décision, en première page des sites concernés, et ce pendant toute la durée de la campagne des élections législatives. Enfin, il est important de retenir que le référé d’heure à heure avait permis d’obtenir une décision en quelques jours seulement (assignation le 16 mai 2007 ; ordonnance le 22 mai 2007) (TGI Paris, réf., 22 mai 2007, Françoise Tenenbaum / Bernard Depierre : Legalis.net).
Pour finir, le juge des référés, avait ordonné notamment : 1) la suppression des noms de domaine dans le délai de 48 heures à compter de la signification de l’ordonnance, et ce sous astreinte de 300 euros par jour de retard ; 2) la publication de la décision en première page d’accueil des sites vivreagirensemble.fr et Cancaledemain.fr pendant une dizaine de jours ; 3) sa publication également dans la presse locale, aux frais de Pierre-Yves M. et 4) le versement de la somme de 5000 euros à titre de provision à valoir sur dommages-intérêts pour préjudice moral (TGI Saint Malo, réf., 7 mars 2008, Louis L. / Pierre Yves M. : Legalis.net).