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Nouvelles extensions blockchain : premier arrivé, premier servi ?


« Premier arrivé, premier servi, ne venez donc pas trop tard », écrivait Shakespeare dans Mesure pour mesure, en 1616. « Qui premier vient au moulin, premier engraine ! » est un proverbe du droit coutumier signifiant que, les privilèges étant abolis, « chacun est libre d’aller faire moudre son grain où il veut, mais le meunier ne l’est pas de servir les derniers arrivés avant les premiers » (J.-L.-Alexandre Bouthors, Les Proverbes, dictons et maximes du droit rural traditionnel, A. Durand (Paris), 1858, n° 57, p. 120). Dans un contexte de propriété intellectuelle : « Premier arrivé, premier servi, tel est le seul principe d’après lequel il faille traiter les inventeurs » (G. G. M. Hardingham, « Lettre de Grande-Bretagne », La propriété industrielle, 1892, No. 9, p. 128).

En effet, la règle constitue l’un des piliers (mais pas le seul) du droit de la propriété intellectuelle : le principe d’antériorité. En conférant un droit exclusif au premier créateur d’une œuvre, d’une invention ou d’une marque, la loi entérine une règle de bon sens. Le bon sens, justement, commande aussi que l’on n’accorde aucun droit exclusif aux créations dénuées d’originalité (droit d’auteur), de nouveauté (droit des brevets) ou de distinctivité (droit des marques).

Qu’en est-il de la création d’un domaine de premier niveau générique ? La question se pose pour l’extension alternative (non-DNS) .WALLET qui fait actuellement l’objet d’un litige entre Unstoppable Domains (premier entrant) et Handshake (second entrant). Comme nous avons déjà eu l’occasion de le rappeler, le mot « wallet », compte tenu de sa descriptivité (puisqu’il a vocation à être utilisé en rapport avec des services cryptofinanciers), ne peut donner naissance à aucun droit de marque. L’impossibilité de conférer un droit de propriété intellectuelle devrait, en principe, jouer en faveur de la liberté du commerce et, par conséquent, d’une certaine coexistence. Cependant, une telle situation n’est pas nécessairement souhaitable, ni pour les opérateurs, ni pour les titulaires de droits de propriété intellectuelle, ni pour les autorités. C’est donc avec bienveillance qu’il faut accueillir une récente annonce de l’opérateur Unstoppable Domains. Le 18 octobre 2022, cette entreprise, qui a créé plusieurs extensions alternatives, dont .COIN et .WALLET, a fait savoir qu’elle abandonnait l’exploitation de son .COIN au motif qu’elle s’était aperçu qu’une entreprise concurrente, Emercoin, l’avait précédée (unstoppabledomains.com, 2022-10-18). Ainsi, Unstoppable Domains s’impose à elle-même la doctrine du premier arrivé, premier servi. Toutefois, la renonciation au .COIN n’est pas désintéressé. C’est que la valeur du .WALLET pourrait bien dépasser celle du .COIN de manière incommensurable (nous avons déjà eu l’occasion d’en dire un mot : iptwins.com, 2022-09-07). La renonciation au .COIN est stratégique. En effet, devant le juge comme devant son contradicteur (Handshake), Unstoppable Domains ne peut à la fois soutenir la théorie du monopole (chaque domaine de premier niveau est unique) et conserver son .COIN puisqu’un registre alternatif (Emercoin) l’avait déjà précédé. Autrement dit, en renonçant au .COIN, Unstoppable Domains envoie un message fort à Handshake et au juge. Le pari est risqué. C’est dire la valeur à laquelle Unstoppable Domains estime le .WALLET !


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