La société Cristal vision, qui exerce une activité d’opticien, est propriétaire d’une marque verbale « Cristal vision » et du nom de domaine <cristal-vision.fr>. Comme la société Cristal vision reprochait à sa concurrente, la société Crystal vision, l’emploi d’une telle dénomination sociale, cette dernière a renoncé au signe « Crystal vision » au bénéfice de… « Crystal visual » à titre de dénomination sociale, d’enseigne et de nom sur les réseaux, ainsi que dans ses campagnes de publicité en ligne. Croyant s’assurer la propriété de ce nouveau signe, la désormais nommée Crystal visual déposa une demande d’enregistrement de la marque « Crystal visual » auprès de l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI). La maigre concession accordée par Crystal visual n’a pas suffit à emporter la satisfaction de Cristal vision qui, d’une part, s’est opposée, avec succès, à l’enregistrement de la marque « Crystal visual » et, d’autre part, a assigné Crystal visual devant le tribunal judiciaire de Paris. Cristal vision demandait au tribunal : (1) d’interdire à la société Crystal visual d’utiliser la dénomination « Crystal vision » ou « Crystal visual » ; (2) d’ordonner la suppression des pages Facebook, Instagram et Google « Crystal vision » et « Crystal visual » ; (3) d’ordonner la radiation du nom de domaine <cristal-visual.com> et (4) de condamner la défenderesse à lui payer 40 000 euros de dommages et intérêts.
Dans son jugement du 22 mars 2022, le tribunal judiciaire de Paris a effectivement admis la contrefaçon et interdit à la société Crystal visual de faire usage de la dénomination « Crystal vision » dans la vie des affaires. En revanche, le tribunal a rejeté la demande visant à interdire l’usage du signe Crystal visual, en partie pour les motifs suivants :
« 24.Le signe litigieux se rapproche donc assez fortement de la marque, surtout dans son élément dominant, mais celle-ci étant très faiblement distinctive, le public pertinent, peu enclin à y voir une indication d’origine, sera plus attentif aux différences et aux détails, et seule une très forte similitude (comme celle du point i. ci-dessus) serait à même de causer un risque de confusion. Ainsi, le signe désignant des services d’opticien par l’évocation laudative du cristal en le faisant rimer avec un mot anglais évoquant la vue et en ajoutant une légère anomalie orthographique (le ‘y’) ne sera pas confondu avec le signe désignant les mêmes services par la même évocation laudative mais sans rime, et par l’emploi d’un mot français purement descriptif (vision) » (Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 3e sect., 22 mars 2022, 20/12339).
En conséquence, la demande visant à supprimer les pages Facebook, Instagram et Google de la défenderesse ont été rejetées, de même que celle tendant à la radiation du nom de domaine <crystal-visual.com>.
La situation, peu commune, mérite d’être soulignée. Voici donc une entreprise qui, confrontée à un risque juridique (et donc économique) face à un concurrent propriétaire d’une marque faible, est poussée à adopter un nouveau signe, « Crystal visual », qui s’écarte suffisamment de la marque première et s’en démarque par le rejet du mot purement descriptif « vision ». Remarquons, néanmoins, que le tribunal n’a pas manqué de relever le caractère « laudatif » des deux signes en question. D’où ce rappel : le degré de protection d’une marque et son aptitude à exclure les concurrents résultent de son pouvoir distinctif.