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Football et cybersquatting

Cet article s’adresse aux juristes et non juristes engagés dans la protection des marques des joueurs, des équipes, des clubs, des sponsors, des diffuseurs, des associations, fédérations et confédérations. On y trouve des pistes sur la situation du football face au cybersquatting, à partir des décisions extra-judiciaires (environ 200 répertoriées) rendues sur demande des différentes parties prenantes. Quels peuvent être les droits ou intérêts légitimes du défendeur ? Quelles sont les pratiques des cybersquatteurs ? Et comment prévenir les litiges ? Telles sont les questions que nous posons dans la perspective de contribuer à l’amélioration de la gestion de portefeuilles de noms de domaine dans le milieu du football.



1. Données du problème

1. Cybersquatting

2. Modes de règlement des litiges

3. UDRP

4. Limites de l’UDRP

5. Cibles récurrentes

2. Les droits/intérêts légitimes du défendeur

6. Défenses aberrantes

7. « Aficionados »

8. « Aficionados » : <culers.com>

9. « Aficionados » : <madridistas.com>

10. « Aficionados » : une question de circonstances

11. « Aficionados » : <marque.fan>

12. Motifs de rejet de la demande de transfert

3. La mauvaise foi du défendeur

13. La preuve de la mauvaise foi

14. Les procédés habituels

15. La recherche de confusion

16. La configuration d’une adresse email

17. Aspects temporels

4. Prévenir les litiges

18. « Cafouillage dans la surface »

19. « Bus devant le but » ou enregistrements préventifs

20. Extensions spécialisées

21. Externaliser

5. Récupérer un nom de domaine

22. Interception

23. Mercato

24. « Arbitre »


1. Données du problème

1. Cybersquatting. — Le cybersquatting est le fait d’enregistrer un nom de domaine délibérément similaire ou identique à une marque sans l’autorisation du propriétaire de cette marque. La notion de cybersquatting comporte donc deux aspects : l’un objectif, l’autre subjectif. L’aspect objectif renvoie au risque de confusion entre la marque et le nom de domaine. L’aspect subjectif concerne l’intention du titulaire du nom de domaine, guidé par l’appât du gain ou par des velléités belliqueuses.

2. Modes de règlement des litiges. — il existe une multitude de méthodes pour résoudre les litiges relatifs aux noms de domaine : la voie judiciaire et les voies extrajudiciaires. Au-delà des procédés traditionnels que sont la médiation et la conciliation (peu utilisés en matière de noms de domaine), les voies extrajudiciaires se caractérisent principalement par la procédure dite UDRP pour « Uniform Domain Name Dispute Resolution Policy ». Cette procédure, qui prend sa source dans le contrat, est de nature juridictionnelle en ce qu’elle fait intervenir un tiers qui dit le droit, tranche le litige et, en cela, modifie le patrimoine des parties. La procédure UDRP, dont la portée couvre les domaines de premier niveau générique (ou gTLDs pour generic Top level Domain), a fortement inspiré de très nombreuses autres procédures applicables exclusivement à un seul domaine de premier niveau géographique (ou ccTLD pour country code Top Level Domain). Ces mécanismes de règlement des litiges, pour la plupart, ne doivent pas être confondus avec l’arbitrage.L’une des raisons du rejet de la qualification d’arbitrage tient dans le caractère non exclusif de la procédure, de sorte qu’une affaire peut être portée devant un tiers-décideur UDRP et devant le juge judiciaire. Sauf cas rare (par exemple, en droit polonais), ces procédures UDRP et assimilées présentent un inconvénient sérieux : le propriétaire de la marque ayant obtenu gain de cause ne peut pas demander la réparation de son préjudice, ni même le remboursement des frais engagés pour les besoins de la procédure. Deux raisons sont le plus souvent invoquées : d’une part, la célérité de la procédure et, d’autre part, l’impossibilité d’identifier systématiquement le défendeur. Concernant la célérité, il faut reconnaître que la procédure extrajudiciaire doit impérativement être expéditive, de manière à faire cesser une situation illégale, voire illicite, dans les plus courts délais. Quant à l’identification des titulaires de noms de domaine enregistrés de manière abusive, l’argument est plus faible. Il suffirait, par exemples, d’imposer aux entités d’enregistrement une obligation d’identifier leurs clients, d’interdire le recours aux cartes de paiement anonymes et d’impliquer les établissements bancaires dans la lutte contre le cybersquatting. Il n’en demeure pas moins que ces procédures extrajudiciaires reste plébiscitées pour leur célérité et leur efficacité.

3. UDRP. — La procédure UDRP est un modèle de règlement des litiges relatifs aux noms de domaine, si bien que les conditions de l’UDRP se retrouvent dans la plupart des mécanismes nationaux (par exemples, la procédure itDRP pour l’Italie et esDRP pour l’Espagne) ou régionaux (notamment euDRP, dite « ADR », pour l’Union européenne). Pour obtenir le transfert du nom de domaine, le propriétaire de la marque doit prouver : i) être propriétaire d’une marque ; ii) que le nom de domaine litigieux est similaire ou identique à cette marque ; iii) que le titulaire du nom de domaine (le défendeur) ne dispose d’aucun droit ou intérêt légitime sur le signe  et iv) qu’il a enregistré le nom de domaine de mauvaise foi et, enfin, v) qu’il l’utilise également de mauvaise foi.

4. Limites de l’UDRP. — L’UDRP a été créée pour permettre aux parties à un litige simple de résoudre ce dernier rapidement et à moindre coût. Compte tenu de sa nature et de ses objectifs, l’UDRP ne peut pas tout. Les tiers-décideurs ont un devoir de célérité, ce qui restreint considérablement leur pouvoir quant à l’examen de litiges relativement complexes. La nature particulière de l’UDRP a ainsi été rappelé à l’occasion d’un litige intra-familial concernant, entre autres signes d’affaires, le nom de domaine <marcet.academy>. Le tiers-décideur a jugé qu’il n’était pas compétent pour résoudre ce différend (OMPI D2022-1790, Marcet Trade S.L., Marcet Knowledge S.L., Fundación Marcet c. Silvia Martín Martínez / Pablo Marcet Bonel, España, 19 de julio de 2022).

5. Cibles récurrentes. — Les décisions extrajudiciaires révèlent que ce sont les équipes européennes (Liverpool FC et Real Madrid en tête) et les confédérations (dont la FIFA et l’UEFA) qui paraissent les plus actives dans la protection de leurs marques contre le cybersquatting. Cependant, cela ne signifie pas que les joueurs ou d’autres parties prenantes y échappent. Il existe bien quelques décisions concernant des noms de joueurs (sbs fiRonaldinho : OMPI D2006-0524, D. Ronaldo de Assis Moreira v. Eladio Garcia Quintas, 14 de Julio de 2006 ; Kylian Mbappé : Forum, FA1708001745425, Mr. Kylian Mbappe Lottin v. k al, September 20, 2017 ; Kew Jaliens : DomJur 2011-654, Kew Jaliens v. [gedaagde], 22-03-2011 ou encore Wayne Rooney : Nominet, DRS 03844, Stoneygate 48 Limited and Wayne Mark Rooney –v– Mr. Huw Marshall, 5 October 2006 15).

En réalité, les décisions publiées ne reflètent que la partie émergée de l’iceberg. En effet, les noms de domaine enregistrés et utilisés de manière abusive ne donnent pas systématiquement lieu à une procédure juridictionnelle. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation, à commencer par l’ignorance de l’existence de noms de domaine constituant des actes de cybersquatting, ce qui peut être comblé par la mise en place de surveillances. Cela peut également être le résultat d’une stratégie définie de manière à ne poursuivre que les actes de cybersquatting considérés comme les plus dangereux selon un niveau de risque prédéterminé (sur ce point, v., par ex. : « Noms de domaine : florilège de récentes procédures extra-judiciaires qui auraient pu être évitées », iptwins.com, 2021-09-24). À titre d’illustration, l’utilisation d’un nom de domaine dans le but d’exposer une copie du site officiel de la FIFA (WIPO, D2009-1372, Fédération Internationale de Football Association (FIFA) v. Javier Perez, November 26, 2009), de retransmettre des matchs (WIPO, D2019-2019, The Football Association Premier League Limited v. Robert Opanisga, October 18, 2019) de vendre des billets (WIPO, D2019-3150, Paris Saint-Germain Football v. Registration Private, Domains By Proxy, LLC / Alex Temple, February 21, 2020) ou des marchandises (WIPO, D2017-0515, FC Bayern Muenchen AG v. Giordano Matthew, May 9, 2017) constituent autant de menaces indéniablement plus alarmantes que celle relevant d’une page parking, fût-elle garnie de liens commerciaux portant atteinte aux droits résultant de la marque et à l’image de cette dernière.

D’une manière générale, toute marque impliquée médiatiquement dans l’économie du football est exposée au risque du cybersquatting dont celles des joueurs, des clubs, des fédérations, des équipementiers, des sponsors, des diffuseurs ou des récompenses (OMPI D2022-1959, Les Editions P Amaury v. Privacy Service Provided by Withheld for Privacy ehf / Rosie Lynch, July 25, 2022). À cet égard, on observe que l’un des diffuseurs de la Coupe du Monde 2022, à savoir BeIN Sports, a été contraint d’engager plusieurs procédures dans le courant de l’année 2022 (WIPO D2022-3431, beIN Media Group L.L.C v. ahmed, maknes, October 30, 2022 ; WIPO DME2022-0019, beIN Media Group LLC v. Ahmed Ali, November 8, 2022 ; WIPO D2022-3472, beIN Media Group LLC v. Bouya Samir, November 8, 2022 ; WIPO D2022-3472, beIN Media Group LLC v. Bouya Samir, November 8, 2022), rappelant ainsi la nécessité d’accompagner une exposition médiatique d’un audit des portefeuilles de marques et de noms de domaine et d’une surveillance des nouveaux noms de domaine.

2. Les droits/intérêts légitimes du défendeur

6. Défenses aberrantes. — Les décisions extrajudiciaires relatives aux litiges portant sur des noms de domaine sont réputées pour accueillir des arguments fantaisistes. Nous nous contenterons de quelques exemples savoureux. Ainsi, le titulaire du nom de domaine <liverpoolfc.com> affirmait que l’acronyme « FC » renvoyait non pas à « Football Club », mais à « Fashion Club ». Cependant, deux ans après l’enregistrement du nom de domaine, le titulaire de ce dernier demeurait bien en peine de démontrer le moindre signe d’une activité dans le domaine de la mode (WIPO, D2002-0046, The Liverpool Football Club and Athletic Grounds Public Limited Company and the LiverpoolFC.TV Limited v. Andrew James Hetherington, April 4, 2002). De manière plus excentrique, le détenteur du nom de domaine <fifa.tv> déclarait que « FIFA » signifiait « Forests (or Forestry) International Forum of Australia ». Pourtant, selon le tiers-décideur, il existait « de fortes présomptions indiquant qu’à l’origine, le nom de domaine dirigeait les utilisateurs vers un site contenant des résultats sportifs, y compris des résultats de football » (WIPO, DTV2001-0031, FIFA v. Andy Muffy, February 27, 2002). De façon plus juridique, dans l’affaire D2021-0467, le défendeur, domicilié à Singapour, rétorquait à la FIFA que sa marque éponyme, bien qu’enregistrée à Singapour, ne visait pas les services d’accueil (WIPO, D2021-0467, Fédération Internationale de Football Association (FIFA) v. Kenneth Berger, Bleukei Pte. Ltd., April 27, 2021). Enfin, relevons l’affaire DAU2018-0001 dans laquelle l’éphémère président d’un club de rang national avait immatriculé une société nommée « Melbourne Red Bulls Football Club Pty Ltd. » et enregistré le nom de domaine <melbourneredbullfc.com.au> en vue, selon l’intéressé, d’une part, d’attirer l’attention de la société Red Bull sur l’opportunité d’investir dans l’édification d’un nouveau stade à Melbourne et, d’autre part, pour prévenir tout enregistrement abusif par des tiers (WIPO, DAU2018-0001, Red Bull GmbH v. Melbourne Red Bulls Football Club Pty Ltd, March 2, 2018). Un mois auparavant, à l’issue d’une procédure UDRP initiée également par la société Red Bull, le créateur de la société Melbourne Red Bulls Football Club Pty Ltd. avait été démuni de 25 noms de domaine dont certains reproduisaient la marque « Red Bull » associée à des mots ou acronymes tels que « Melbourne » et « FC » (WIPO, D2018-0021, Red Bull GmbH v. Daniel Cobb, CobbCorp Pty Ltd., February 28, 2018).

7. « Aficionados ». — Le football étant indissociable de la ferveur populaire, c’est tout naturellement que la question des sites dits « de fans » ou « supporters » se pose. Dès 2001 (soit un peu plus d’un an après l’entrée en vigueur de l’UDRP), la Juventus de Turin avait initié une procédure UDRP afin d’obtenir le transfert du nom de domaine <juventus.net> utilisé par un supporter. L’éditeur du site, au demeurant non commercial, avait pris soin de déclamer un avertissement précisant qu’il n’était en aucune manière affilié au célèbre club de football. En conséquence, la demande de transfert fut rejetée, mais à contrecoeur. En effet, le tiers-décideur s’était montré sceptique face à la nécessité, pour les besoins d’un site de supporters, de recourir à un nom de domaine identique à la marque (WIPO, D2001-0260, Juventus F.C. S.p.A. v. Claudio Sacco Interactive, April 18, 2001).  Depuis, les tiers-décideurs ont forgé une jurisprudence plus avantageuse pour le propriétaire de la marque et plus prévisible pour l’internaute ou le consommateur. En effet, selon la jurisprudence, pour qu’un site de supporters soit considéré comme légitime, il doit respecter quatre conditions : i) il doit être actif ; ii) non commercial ; iii) clairement distinctif du site officiel et iv) ne pas reproduire la marque à l’identique (para. 2.7 WIPO Jurisprudential Overview 3.0). La décision relative au nom de domaine <uefa.es> illustre bien cette quatrième condition. En effet, le nom de domaine était utilisé pour diffuser des informations à destination des supporters s’intéressant à des compétitions organisées par l’Union des associations européennes de football (UEFA). Après avoir rappelé le caractère fondamental de la liberté d’expression, le tiers-décideur a estimé que des tiers ne pouvaient s’approprier un nom de domaine identique à une marque, serait-ce pour désigner un site de supporters (WIPO, DES2006-0012, Union des Associations Europaenes de Football (UEFA) v. Angel de la Fuente Lascorz, 14 de septiembre de 2006). Cependant, il existe des contre exemples et, à ce titre, l’affaire D2021-1412 concernant le nom de domaine <culers.com> est contestable.

8. « Aficionados » : <culers.com> — Le titulaire du nom de domaine <culers.com>, identique à la marque CULERS (qui désigne les supporters du Barça), le détenait passivement depuis vingt ans et, au jour de la plainte, il l’utilisait pour désigner une page parking contenant des liens commerciaux. Les preuves visant à démontrer l’existence d’un projet de site Internet ne permettaient pas de conclure à l’absence de droits et intérêts légitimes. En revanche, le tiers-décideur a jugé que le défendeur n’était pas de mauvaise foi, et ce pour deux raisons. Premièrement, le demandeur n’a pas réussi à démontrer la notoriété de la marque CULERS. Secondement, il a été considéré que le défendeur avait pu ignorer l’existence de cette marque au jour de l’enregistrement du nom de domaine (WIPO, D2021-1412, Fútbol Club Barcelona v. Oriol Gifra Durall, June 22, 2021). Cette décision repose sur une contradiction malheureuse. D’une part, le défendeur reconnait qu’il avait envisagé la publication d’un site dédié aux supporters du Barça, les « Culers » ; de l’autre, on juge qu’il ne connaissait pas la marque CULERS. Or il importe peu que le titulaire du nom de domaine n’ait pas connaissance de la nature et du régime juridique du signe « CULERS ». Il suffit qu’il en ait connaissance. En outre, il appartient à celui qui envisage l’enregistrement d’un nom de domaine de procéder à une recherche d’antériorité, ce qui ressort de l’article 2 des principes UDRP (Principes directeurs pour un règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine  : icann.org). Autrement dit, on est en présence d’un nom de domaine : i) identique à une marque dont le défendeur a démontré qu’il avait une parfaite connaissance ; ii) sur lequel le défendeur ne peut démontrer aucune utilisation depuis vingt ans, ni aucun droit ou intérêt légitime ; et iii) utilisé pour générer des liens commerciaux. Le rejet de la demande de transfert surprend.

9. « Aficionados » : <madridistas.com>. Confronté à des faits quasi-similaires, le tiers-décideur appelé à se prononcer dans l’affaire <madridistas.com> (WIPO D2022-1542) a adopté une approche contraire, bien plus conventionnelle et consensuelle : « le défendeur a reconnu être un fan du demandeur et est de plus, de son propre aveu, membre du club et, par conséquent, il est difficile de conclure qu’il ne connaissait pas les droits du demandeur » (WIPO D2022-1542, Real Madrid Club de Futbol v. Whois Agent (346986033), Whois Privacy Protection Service, Inc. / M. Gonzalez, Castellana Holding Inc., June 27, 2022).

10. « Aficionados » : une question de circonstances. — Bien que nécessaires, les quatre conditions peuvent être insuffisantes. D’un côté, malgré le respect des quatre conditions, le tiers-décideur demeure libre de considérer, au vu des circonstances de l’espèce, que le site en question n’est, en réalité, qu’un prétexte pour obtenir un avantage indu, de quelque manière que ce soit (para. 2.7 WIPO Jurisprudential Overview 3.0). D’un autre côté, en présence de parties ayant leur domicile ou siège social aux États-Unis, il se peut que le tiers-décideur fasse prévaloir le Premier amendement de la Constitution, lequel garantit la liberté d’expression (ibid.), ce qui peut limiter les chances de succès d’une procédure UDRP.

11. « Aficionados » : <marque.fan>. — Dans le cadre de l’examen du risque de confusion entre la marque et le nom de domaine, la règle de principe est solide : l’extension ne doit pas être prise en considération (paras. 1.11.1 et 1.11.2, WIPO Jurisprudential Overview 3.0). En revanche, lorsque la nature de l’extension s’y prête, le tiers-décideur doit l’intégrer dans l’analyse du deuxième élément afin de déterminer les droits et intérêts légitimes que le titulaire du nom de domaine dispose ou croit disposer sur ce dernier (para.  1.11.2, WIPO Jurisprudential Overview 3.0). À cet égard, les extensions .sucks et .fan sont particulièrement concernées. Toutefois, le seul recours à l’une de ces extensions ne suffit pas à asseoir un droit ou intérêt légitime. Les décisions concernant les noms de domaine enregistrés avec le .sucks l’attestent (iptwins.com, 2021-08-09). À notre connaissance, l’extension .fan n’a, à ce jour, donné lieu à aucune procédure extrajudiciaire. Quoiqu’il en soit, en présence d’une extension de nature explicite telle que .fan, la question du maintien de la jurisprudence selon laquelle le choix d’un nom de domaine identique à la marque est abusif pourrait être remise en cause. En effet, d’un côté, le défendeur ne manquera pas de soutenir que le caractère explicite de l’extension suffit à écarter tout risque de confusion. De l’autre, le demandeur aura tout intérêt à insister sur le risque de confusion pouvant découler de l’apparente affiliation entre le propriétaire de la marque et le titulaire du nom de domaine. En tout état de cause, le tiers-décideur sera immanquablement amené à trancher au regard de l’ensemble des circonstances (dont le contenu du site et son caractère commercial ou non). D’une manière générale, la prudence et la courtoisie imposent à celui qui envisage de créer et d’utiliser un nom de domaine similaire ou identique à une marque de requérir le consentement préalable et exprès du propriétaire de ladite marque.

12. Motifs de rejet de la demande de transfert. — Il est assez rare qu’une procédure extrajudiciaire aboutisse à une décision de rejet. Cependant, l’antériorité d’un signe homonyme ou le caractère faiblement distinctif de la marque opposée au défendeur peut suffire à faire échec à la demande de transfert. Ainsi, la Ligue de Football Professionnel (France) s’est heurtée à l’antériorité du nom de domaine <ligue1.org>, enregistré préalablement à la substitution du signe distinctif « Première division » par la marque « Ligue 1 », et alors utilisé en relation avec un autre type de compétition : celle faisant s’opposer des voitures radio commandées (WIPO, D2014-0014, Ligue de Football Professionnel (LFP) contre Patrick Thioux, Ligue 1, 26 février 2014). Dans la même veine, la demande de transfert du nom de domaine <pao.com>, revendiquée par le Panathinaikos Athlitikos Omilos, fut rejetée sur le fondement de deux motifs. D’une part, son titulaire l’avait enregistré en 1994, soit antérieurement à la naissance de la marque “1908 PANATHINAIKOS A.O. P.A.E.” (qui date de 1995). D’autre part, le nom de domaine, composé d’un acronyme de trois lettres, était utilisé sans lien avec le monde du football (WIPO, D2008-0044, Panathinaikos Athlitikos Omilos – Football Société Anonyme, Green Team S.A. v. Internet Pennsylvania Inc., March 19, 2008). Le club grec n’était donc pas en position d’exclure l’utilisation du nom de domaine <pao.com> par le défendeur. De manière similaire, la demande de transfert portant sur le nom de domaine <thfc.co.uk> fut rejetée, le demandeur, propriétaire de la marque « THFC » (pour Tottenham Hotspur Football Club) n’étant pas parvenu à démontrer la mauvaise foi d’une société formellement appelée « Trentholme Limited » mais qui était sur le point d’être renommée « The Health Food Company » au moment où elle reçut la plainte du demandeur (Nominet, DRS 02426, Tottenham Hotspur PLC V Trentholme Limited, 14 September 2005). Ces deux derniers exemples, concernant les noms de domaine <pao.com> et <thfc.co.uk>, confirment la faiblesse des demandes fondées sur des marques acronymes (sur ce point, v. iptwins.com, 2019-04-19). Nous verrons, plus loin, ce qu’il convient d’en déduire sur le plan stratégique.

3. La mauvaise foi du défendeur

13. La preuve de la mauvaise foi. — On sait que dans le cadre d’une procédure extra-judiciaire, le demandeur doit prouver que le défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine de mauvaise foi. Dès lors, le défi, pour le demandeur, consiste à démontrer la mauvaise foi d’une personne dont il ignore tout. On parle de « preuve diabolique » (probatio diabolica). Pour affronter cette difficulté, le recours aux notions de renommée ou de notoriété (dans le cadre de cet article, nous emploierons l’une ou l’autre indifféremment), est profitable et salvatrice, du moins lorsqu’elle est fondée (v. WIPO, D2021-1412, Fútbol Club Barcelona v. Oriol Gifra Durall, June 22, 2021, dans laquelle le Barça n’a pas réussi à démontrer la notoriété de sa marque CULERS). En effet, la diffusion, prodigieusement large, des évènements footballistiques nationaux, régionaux et internationaux assure une renommée certaine aux marques qui font ainsi l’objet d’une médiatisation considérable (organisateurs, équipes, joueurs, sponsors, diffuseurs et annonceurs). Dans la quasi-totalité des cas, la forte réputation de la marque suffit à conclure que le défendeur, titulaire du nom de domaine, ne pouvait ignorer son existence au jour de l’enregistrement. Autrement dit, cet acte, l’enregistrement du nom de domaine, est incontestablement l’aboutissement d’une volonté résolue de tirer profit de la notoriété de la marque cybersquattée. En outre, les données WhoIs, dans certains cas, peuvent révéler la proximité géographique du demandeur et du défendeur, ce qui rend plus indiscutable encore la connaissance, par le second, de la marque du premier (v., par ex. : Nominet, DRS 04596, Ricoh Company Limited and Arena Coventry Limited v. Paul Edwards, 25 May 2007 ; WIPO, DTV2007-0009, De Vereniging Amsterdamsche Football Club “Ajax” / AFC Ajax NV v. R. de Monchi, 10 augustus 2007 ; WIPO, D2014-2037, Real Madrid Club de Futbol v. Manuel Mateo Peñalver, January 6, 2015 ; WIPO, D2015-1973, A.S. Roma S.p.A. and A.S.R. Media & Sponsorship S.r.l. v. Mr. Marco Violi, December 28, 2015 ; WIPO, D2018-1831, The Brighton and Hove Albion Football Club Limited v. Dave Bantock, October 18, 2018). Cependant, et fort heureusement, cette proximité géographique, parfois utile, n’est pas essentielle. Ainsi, le Real de Madrid a pu obtenir le transfert de noms de domaine enregistrés par des résidents grecs et chinois (WIPO, D2017-2006, Real Madrid Club de Futbol v. Vladimir Tamasi, December 27, 2017 ; WIPO, D2020-0540, Real Madrid Club de Futbol v. Lee Charles (黄登通), May 7, 2020). En revanche, en présence d’une marque dont la réputation est limitée, cette proximité géographique peut se révéler plus déterminante (Nominet, DRS, D00010830, Keats Engineering Ltd and Pontefract Collieries FC v. Mr Nigel Moxon, 11 April 2012).



14. Les procédés habituels. — En premier lieu, il convient de rappeler que l’absence de site Internet (passive holding) peut suffire à constater la mauvaise foi du défendeur, ce qui est facilité lorsque la marque est notoire (v., par ex. : WIPO, D2006-0785, Asian Football Confederation v. PARSWEB, c/o Nik Rayaneh, October 1, 2006 ; WIPO, D2009-0686, Manchester City Football Club Limited v. Vincent Peeris, Renown SC, October 2, 2009 ; WIPO, D2012-0916, The Football Association Premier League Limited v. Billettkontoret AS, June 19, 2012 ; WIPO, D2016-2310, Fédération Internationale de Football Association (“FIFA”) v. Whois Privacy Shield Services / Winsum Wong, January 24, 2017 ; WIPO, D2018-0380, Madrid Club de Futbol v. 深圳市弗兰广告装饰有限公司, April 17, 2018).On peut dire que la rétention passive d’un nom de domaine similaire ou identique à une marque notoire sera automatiquement assimilée à un acte de mauvaise foi (section. 3.3, WIPO Jurisprudential Overview). Il en va de même lorsque le nom de domaine, similaire ou identique à une marque renommée, désigne une page parking garnie de liens commerciaux (WIPO, D2004-0827, Ronaldo de Assis Moreira v. Goldmark – Cd Webb, December, 3, 2004 ; WIPO, D2006-0916, Stoneygate 48 Limited and Wayne Mark Rooney v. Huw Marshall, October 6, 2006 ; WIPO, D2019-0902, La Française des Jeux v. Yunkook Jung, June 10, 2019 ; WIPO, D2020-2356, Paris Saint-Germain Football v. Relativ Hosting, October 30, 2020). L’offre de vente du nom de domaine constitue évidemment un indice de mauvaise foi (WIPO, D2000-0230, ISL Marketing AG, and the Union des Associations Européennes de Football v. The European Unique Resources Organisation 2000 B.V., July 5, 2000 ; WIPO, D2000-0710, UEFA and Funzi Furniture, October 22, 2000 ; WIPO, D2003-0363, Tottenham Hotspur plc v. Kirsch Securities Ltd, June 23, 2003 ; WIPO, D2018-1831, The Brighton and Hove Albion Football Club Limited v. Dave Bantock, October 18, 2018 ; WIPO, D2020-0540, Real Madrid Club de Futbol v. Lee Charles (黄登通), May 7, 2020). De même, la seule demande de contrepartie en l’échange du nom de domaine révèle également la mauvaise foi du défendeur (WIPO, D2014-1189, Futbol Club Barcelona c. B.P, 22 de agosto de 2014). À cet égard, de manière peu habituelle, le titulaire des noms de domaine <brightonseagulls.co.uk> et <brightonseagulls.uk> avait publié l’offre de vente sur un véhicule automobile en reproduisant la marque semi-figurative qui identifie l’équipe (Nominet, DRS, D00020494, The Brighton & Hove Albion Football Club and Mr Dave Bantock, 21 October 2018).

15. La recherche de confusion. — Plus rarement, mais de manière plus alarmante, le cybersquatteur lie le nom de domaine à un site reproduisant ou imitant celui du site officiel du demandeur (WIPO, D2000-0034, ISL Marketing AG, and The Federation Internationale de Football Association v. J.Y. Chung, Worldcup2002.com, W Co., and Worldcup 2002, April 3, 2000 ; WIPO, D2009-1372, Fédération Internationale de Football Association (FIFA) v. Javier Perez, November 26, 2009 ; WIPO, D2014-1222, The Football Association Premier League Limited v. c/o Woistrustee.com Limited / Domain Administrator, Beyond the Dot, September 22, 2014WIPO, D2015-1396, Paris Saint Germain Football v. Ai Si Ai Si, ma guobao, Yin Lin, Mi Ni Mi Ni, October 17, 2015 ; CRDD, A.S. Roma S.p.a. v. sig. Marco Violi, 16 febbraio 2016 ; WIPO, D2017-0516, FC Bayern Muenchen AG v. Pamella Krapf, bayernmunichfcproshop.com / Whoisguard Protected, Whoisguard, Inc., May 9, 2017 ; WIPO, D2020-1848, Manchester United Football Club Ltd. v. whitted john and WhoisGuard Protected, WhoisGuard, Inc. / Didi Dimtroff, September 28, 2020). Dans certains cas, cette recherche de confusion sert la vente d’articles de sport (WIPO, D2017-0516, FC Bayern Muenchen AG v. Pamella Krapf, bayernmunichfcproshop.com / Whoisguard Protected, Whoisguard, Inc., May 9, 2017). À l’évidence, la seule association du nom de domaine avec la vente d’articles de sport suffit à retenir la mauvaise foi, sans qu’il soit nécessaire que les sites Internet en question soient similaires ou identiques (CRDD, U.S. Città di Palermo s.p.a. v. Free Time Management Group s.r.l., 27 ottobre 2007 ; CRDD, Adidas AG. v. Paolo Luppi, 15 novembre 2008WIPO, D2008-1334, Adidas AG v. Paolo Luppi, October 17, 2008 ; WIPO, D2015-1242, Chelsea Football Club Limited v. hai le, September 17, 2015 ; WIPO, D2016-0060, FC Bayern München AG v. Reed Rick, luwei duichengduo, March 7, 2016 ; WIPO, D2016-2282, FC Bayern Muenchen AG v. Whoisguard Protected, Whoisguard, Inc. / Name Redacted, December 26, 2016 ; WIPO, D2017-0515, FC Bayern Muenchen AG v. Giordano Matthew, May 9, 2017 ; WIPO, D2017-1490, Decathlon v. Name Redacted, October 2, 2017 ; WIPO, D2019-0503, Decathlon v. Domain Administrator, See PrivacyGuardian.org / Xiao Jian, April 22, 2019WIPO, D2019-3157, Union des Associations Européennes de Football (UEFA) v. Whois Agent, Domain Protection Services, Inc. / Sports & Events Hospitality Group Ltd and Sport Games 2020, February 28, 2020 ; WIPO, D2020-2345, Paris Saint-Germain Football v. Ayoub Ifraden, October 15, 2020). Ce raisonnement s’applique également à la vente de billets (WIPO, D2001-0070, ISL Worldwide and The Federal Internationale de Football Association v. Western States Ticket Service, March 23, 2001 ; WIPO, D2008-0842, The Arsenal Football Club Public Limited Company v. Official Tickets Ltd, July 22, 2008 ; WIPO, D2008-1574, Chelsea Football Club Limited v. Official Tickets Ltd, December 23, 2008WIPO, D2009-1372, Fédération Internationale de Football Association (FIFA) v. Javier Perez, November 26, 2009) et à la retransmission d’évènements (WIPO, D2015-1973, A.S. Roma S.p.A. and A.S.R. Media & Sponsorship S.r.l. v. Mr. Marco Violi, December 28, 2015WIPO, D2019-1841, The Football Association Premier League Limited v. Joso Silva, September 30, 2019 ; WIPO, D2019-2019, The Football Association Premier League Limited v. Robert Opanisga, October 18, 2019 ; WIPO, D2020-2639, Television Francaise 1 v. Nicolas Courtier, Channelstream, November 26, 2020). Enfin, on ne manquera pas de signaler ces fraudes ou tentatives de fraude par lesquelles les cybersquatteurs usent de stratagèmes, par exemple, afin de se faire passer pour des organisateurs d’évènement, et ce afin d’escroquer des tiers, dont les sponsors (WIPO, D2019-0390, Fédération Internationale de Football Association (FIFA) v. Moussa Riffi, April 19, 2019 ; D2019-2697, Galatasaray Mağazacılık Ve Perakendecilik A.Ş. v. Blanco Blanco, Blanco LLC, December 30, 2019 ; WIPO, D2020-2505, Fédération Internationale de Football Association (FIFA) v. Tae Sung Park, November 18, 2020). C’est ainsi que dans l’affaire D2019-0390, le défendeur avait publié un appel à sponsoring sur le site désigné par le nom de domaine litigieux, à savoir <fifa2022.com> : “FIFA2022.com proudly shows the multinational companies that support FIFA 2022 World Cup in Qatar. Only qualified Sponsors can be added to FIFA2022.com site. For any requirements regarding Sponsor add, please use our contact box” (WIPO, D2019-0390, Fédération Internationale de Football Association (FIFA) v. Moussa Riffi, April 19, 2019). De tels faits ne constituent pas seulement un délit civil mais également un délit pénal. Toutefois, cette qualification juridique ne retire pas au tiers-décideur sa compétence pour trancher les questions qui lui sont soumises. Simplement, il n’a pas le pouvoir de se prononcer sur le volet pénal.

16. La configuration d’une adresse email. — Certains cybersquatteurs montrent une ambition frauduleuse déterminée. C’est particulièrement le cas lorsque le nom de domaine litigieux est instrumentalisé de manière à utiliser des adresses emails, sources de confusion renforcée (v., par ex. : Paris Saint-Germain Football v. Alexander Wiredu, 8. März 2022 et WIPO D2022-1145, The Liverpool Football Club and Athletics Grounds Limited v. Privacy service provided by Withheld for Privacy ehf / Egzy Gomez Jr, June 27, 2022). Cette pratique doit être surveillée car la création d’adresses emails peut être le signe d’une campagne de phishing ou celui de fraudes en tous genres.

17. Aspects temporels. — Précédemment, nous avons évoqué le cas du nom de domaine <ligue1.org> qui avait été enregistré antérieurement à la marque « Ligue 1 » (WIPO, D2014-0014, Ligue de Football Professionnel (LFP) contre Patrick Thioux, Ligue 1, 26 février 2014). Cependant, l’antériorité du nom de domaine vis-à-vis de la marque ne cause pas systématiquement le rejet de la demande de transfert. Il en va particulièrement ainsi en présence de marques désignant des évènements à échéance récurrente et, par conséquent, prévisibles. Ainsi, l’UEFA a pu obtenir le transfert du nom de domaine <uefa2004.com>, malgré l’antériorité de celui-ci sur sa marque « UEFA 2004 » (WIPO, D2001-0717, Union des associations européennes de football (UEFA) v. Chris Hallam, July 10, 2001). Par ailleurs, l’enregistrement abusif de noms de domaine concorde souvent avec un évènement médiatique qui peut être, par exemples, le changement de la dénomination sociale du club de football (WIPO, D2020-3424, A.C. Monza S.p.A. v. Marco Scarpis, February 3, 2021 ; CRDD, Venezia F.C. S.r.l. v. Proxy Service Ltd., 21 dicembre 2017) ou la réussite remarquable d’un joueur (Forum, FA1708001745425, Mr. Kylian Mbappe Lottin v. k al, September 20, 2017 ; WIPO, D2002-0134, Francesco Totti v. Jello Master, April 4, 2002). Mentionnons enfin le cas du joueur néerlandais Kew Jaliens qui, alors qu’il préparait sa reconversion professionnelle, déposa la marque « Kew Jallens » et s’aperçut que les noms de domaine <kewjaliens.nl> et <kew-jaliens.nl> étaient exploités par un tiers depuis plusieurs années. Malgré l’antériorité des noms de domaine, M. Jaliens obtint gain de cause (DomJur 2011-654, Kew Jaliens v. [gedaagde], 22-03-2011).

4. Prévenir les litiges

18. « Cafouillage dans la surface ». — L’analyse des décisions extra-judiciaire révèle, dans un nombre limité de cas, une certaine désinvolture dans la gestion du portefeuille de noms de domaine. Les exemples caractéristiques sont ceux du défaut de renouvellement, par inadvertance (WIPO, D2002-0134, Francesco Totti v. Jello Master, April 4, 2002) ou en raison d’un changement de personnel (WIPO, DTV2007-0009, De Vereniging Amsterdamsche Football Club “Ajax” / AFC Ajax NV v. R. de Monchi, 10 augustus 2007 ; Nominet, DRS, D00010830, Keats Engineering Ltd and Pontefract Collieries FC v. Mr Nigel Moxon, 11 April 2012). Il importe d’insister sur le fait que, dans certaines situations, l’exploitation antérieure au défaut de renouvellement ne suffit pas à tacler les droits ou intérêts légitimes concurrents (WIPO, DTV2007-0009, De Vereniging Amsterdamsche Football Club “Ajax” / AFC Ajax NV v. R. de Monchi, 10 augustus 2007 ; WIPO, D2014-1189, Futbol Club Barcelona c. B.P, 22 de agosto de 2014)Par ailleurs, il se peut que l’entourage des athlètes ne prête pas suffisamment attention aux questions de propriété intellectuelle. Ainsi, le joueur néerlandais Kew Jaliens, alors qu’il quittait les terrains en qualité de joueur, déposa la marque « Kew Jaliens » en 2010 et se rendit compte que les deux noms de domaine <kewjaliens.nl> et <kew-jaliens.nl> étaient abusivement exploités par un tiers non autorisé depuis 2006 (DomJur 2011-654, Kew Jaliens v. [gedaagde], 22-03-2011). Afin de se soustraire à de tels désagréments, il est nécessaire de sensibiliser davantage les représentants des joueurs (dont les agents et les avocats) aux questions de propriété intellectuelle, notamment celles liées aux marques et aux noms de domaine. Par ailleurs, il faut être conscient de l’existence d’outils techniques permettant de déceler les abus et d’outils juridiques conçus pour y mettre un terme.

19. « Bus devant le but » ou enregistrements préventifs. — La meilleure défense, c’est l’attaque ! L’enregistrement préventif consiste à réserver les noms de domaine identiques à la marque dans toutes les extensions vitales, c’est-à-dire :

Sécuriser ces noms de domaine est d’autant plus primordial lorsque la marque est formée d’un acronyme, ce qui la rend vulnérable face au risque d’homonymie et, par conséquent, aux droits concurrents des tiers. Ainsi, la demande du club de Tottenham visant à obtenir le transfert du nom de domaine <thfc.co.uk> fut refusée en première instance puis en appel au motif que la société détentrice, Trent-Holme Funding Consultants Limited, faisait valoir des droits légitimes sur cet acronyme (Nominet, DRS, D00002426, Tottenham Hotspur PLC v. Trent-Holme Funding Consultants Ltd., 9 June 2005 et, en appel, Nominet, DRS, D00002426, Tottenham Hotspur PLC v. Trentholme Ltd., 14 September 2005).

20. Extensions spécialisées. — Il existe des milliers d’extensions disponibles (en incluant les blockchain TLDs). Idéalement, toutes doivent être surveillées. Quoiqu’il en soit, il existe un noyau dur composé d’extensions spécialisées et donc incontournables. Ainsi, les enregistrements préventifs dans les extensions .football, .futbol et .soccer paraissent s’imposer pour tous les professionnels du football, tandis que chaque club ou équipe devrait réserver un ou plusieurs noms de domaine avec les extensions .club et .team. Ne pas s’assurer du contrôle de tels noms de domaine revient à laisser les buts sans portier. Mentionnons au passage l’existence d’autres extensions susceptibles de présenter de l’intérêt comme .coach, .fan, .fans, .fitness, .game, .games, .museum, .shop, .sport, .store, .tickets, .training, .tv, .video, .vip ou encore .win. Les cityTLDs peuvent également être mis à contribution (.Barcelona, .London, .Melbourne, .Paris, etc.).

21. Externaliser. — Pour s’épargner des désagréments liés à la gestion de portefeuilles de noms de domaine, il est judicieux de recourir aux services de tiers bénéficiant d’une expertise juridique et technique permettant de  défendre la marque notamment en conduisant des audits et des surveillances, si ce n’est de manière continue, à tout le moins à échéances régulières et, en particulier, à l’occasion d’évènements médiatiques majeurs.

5. Récupérer un nom de domaine

22. Interception. — Le premier moyen d’obtenir un nom de domaine contrôlé par un tiers est de l’intercepter au moment précis où, abandonné, il retombe dans le domaine public. L’interception (ou backorder) nécessite le recours à une entité d’enregistrement de noms de domaine proposant ce service.

23. Mercato. — Dans certaines situations, selon la stratégie et le budget du propriétaire de la marque (l’une et l’autre étant interdépendants), la récupération du nom de domaine par simple rachat peut se révéler fructueuse, en particulier lorsque le coût de l’opération est inférieur à celui d’une procédure juridictionnelle. Le recours à un tiers anonyme (rachat anonyme) peut contribuer à atteindre cet objectif.

24. « Arbitre ». — Lorsque la situation l’exige, la récupération du nom de domaine se réalisera via une procédure juridictionnelle extra-judiciaire (v. ci-dessus, nos. 2 et 3)., ce qui signifie que la décision sera rendue par un « arbitre » (juridiquement, le terme « tiers-décideur » est plus approprié) à l’issue d’une procédure contradictoire. Cette procédure, dite « UDRP » pour les extensions génériques (itDRP s’il s’agit d’un nom de domaine italien ou esDRP en présence d’un nom de domaine espagnol, etc.) est expéditive et son coût est relativement limité, à tout le moins si on le compare à celui d’une procédure conduite devant le juge étatique.