Aller au contenu

Accès Client

Home » Le cybersquatting des indications géographiques : le cas « Gorgonzola »

Le cybersquatting des indications géographiques : le cas « Gorgonzola »

Le consortium habilité à contrôler l’utilisation de l’indication géographique italienne et européenne « Gorgonzola » a récemment obtenu le transfert du nom de domaine gorgonzola.blue à l’issue d’une procédure UDRP placée sous l’égide du Centre d’Arbitrage et de Médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (WIPO, D2021-0722, Consorzio per la Tutela del Formaggio Gorgonzola v. Whois Privacy, Private by Design, LLC / Gerald Baton, May 30, 2021, <gorgonzola.blue>,transfer, Panelist: Steven A. Maier). Cette décision de transfert est presque un évènement tant les organismes de protection des indications géographiques, malgré la forte notoriété de certaines d’entre elles, éprouvent des difficultés à faire cesser les actes de cybersquatting par la voie extrajudiciaire, en particulier lorsque le suffixe du nom de domaine est régi par l’Uniform Domain Name Dispute Resolution Policy (UDRP) tels que .COM ou .CLUB. Bien que non exhaustif, le tableau suivant atteste de cette réalité.



L’organisme de protection de l’appellation « Gorgonzola » n’a pas toujours obtenu gain de cause dans les procédures extrajudiciaires qu’elle a menées. En effet, les tiers-décideurs avaient rejeté la demande de transfert des noms de domaine gorgonzola.city (WIPO D2017-0253, Consorzio per la Tutela del Formaggio Gorgonzola v. Rob Monster / DigitalTown, Inc., April 12, 2017) et gorgonzola.club (WIPO D2017-0554, Consorzio per la Tutela del Formaggio Gorgonzola v. William Wise, May 14, 2017).

Le cas gorgonzola.city

Dans le premier cas, le nom de domaine était utilisé pour désigner un site d’information dédié au village de Gorgonzola. La particularité de cette affaire tient à l’extension .CITY. La commission administrative a reconnaît qu’ « il est tout à fait possible que le choix d’une société américaine pour enregistrer le nom de domaine contesté <gorgonzola.city> ait été motivé par la célèbre marque de fromage » (WIPO D2017-0253, Consorzio per la Tutela del Formaggio Gorgonzola v. Rob Monster / DigitalTown, Inc., April 12, 2017). En effet, comme bien souvent en matière d’indications géographiques, la notoriété du produit dépasse celle du territoire. D’ailleurs, la commission indique que Gorgonzola est un petit village italien sans grande attraction touristique. Quel serait donc l’intérêt, pour le défendeur, de consacrer des moyens financiers et humains au développement touristique du petit village de Gorgonzola ? Cependant, la preuve de la mauvaise foi, compte tenu de l’extension .CITY, est difficile à apporter. D’un point de vu stratégique, il eut été utile que la commune de Gorgonzola enregistre le nom de domaine gorgonzola.city lors de la sunrise period du .CITY, moyennant, si nécessaire, un accord avec l’organisme de protection du fromage Gorgonzola.

Le cas gorgonzola.club

Dans le second cas, à propos du nom de domaine gorgonzola.club, le panéliste avait relevé la courte vie du nom de domaine (seulement quatre mois) qui, au demeurant, n’avait encore fait l’objet d’aucune exploitation. Le rejet de la demande était également fondé sur « le caractère descriptif du nom de domaine aux États-Unis, pays du défendeur » puisqu’il « désigne un type particulier de fromage » (WIPO D2017-0554, Consorzio per la Tutela del Formaggio Gorgonzola v. William Wise, May 14, 2017). Précisément !, serait-on tenté d’ajouter. Et le panéliste de préciser :

« Il n’est pas invraisemblable qu’une partie ignorant l’existence du plaignant, ou une partie connaissant le plaignant mais sachant que la protection de l’appellation d’origine « Gorgonzola » ne s’étend pas aux États-Unis, cherche à enregistrer un nom de domaine composé du mot « gorgonzola » pour tirer parti du sens descriptif du mot aux États-Unis, à savoir en tant que type particulier de fromage » (WIPO D2017-0554, Consorzio per la Tutela del Formaggio Gorgonzola v. William Wise, May 14, 2017).

Il est vrai que la démonstration de la mauvaise foi du titulaire du nom de domaine requiert une analyse subjective visant à prouver qu’il avait effectivement connaissance du signe distinctif au jour de l’enregistrement. À cet égard, l’existence d’une marque dans le pays dans lequel le défendeur a son domicile ou sous siège social peut constituer un indice dans le cadre d’une procédure UDRP, par nature a-territoriale. En revanche, en présence d’une extension géographique (ccTLD), il peut ne plus s’agir d’un simple indice, mais d’une présomption quasi-irréfragable. En l’occurrence, en indiquant que le défendeur peut, en toute impunité, enregistrer un nom de domaine identique à un signe distinctif dont la protection « ne s’étend pas aux États-Unis », le panéliste avait procédé à une territorialisation de l’UDRP et, ce faisant, avait introduit artificiellement le principe de territorialité des marques dans l’UDRP. En outre, on peine à imaginer que le défendeur ignorait l’existence de l’indication géographique « Gorgonzola » et que le choix de gorgonzola.club était purement dû au hasard. On rappellera également que l’article 2 des principes UDRP, trop peu mis en avant, oblige celui qui s’apprête à enregistrer un nom de domaine à procéder à une recherche d’antériorités. Enfin, observons que le défendeur n’a pas hésité, par la suite, à se déposséder de gorgonzola.club pour le céder au demandeur. Un crève-coeur ? L’honnêteté intellectuelle appelle à s’interroger sur la réelle passion du défendeur : le bleu de Gorgonzola ou la valeur financière du nom de domaine gorgonzola.club réévaluée à la hausse après une procédure UDRP ayant débouché sur une décision de rejet ?

Le cas gorgonzola.blue

« Le Gorgonzola est produit depuis des siècles à Gorgonzola, Milan, acquérant son marbrage bleu verdâtre au XIe siècle » (Wikipedia.org, version anglaise du 11 juin 2021) : d’où le bleu de Gorgonzola et le nom de domaine gorgonzola.blue. Et le défendeur, dans l’affaire D2021-0722, domicilié en Irlande (mais au fond, peu importe), d’assurer qu’il ne connaissait pas « Gorgonzola » ! Cette défense était confortée par le fait qu’il s’était contenté de connecter le nom de domaine gorgonzola.blue à une page pay per click. C’est à croire que personne ne connaît ce fromage, ce qui, paradoxalement, n’empêche pas de multiples enregistrements de noms de domaine reproduisant sa dénomination, protégée. Le défendeur n’avait pas manqué de soutenir sa position en se référant aux affaires gorgonzola.city et gorgonzola.club. Voyez-vous la mesquinerie des cybersquatteurs ? Elle n’a pas échappé au tiers-décideur qui, très légitimement, a ordonné le transfert du nom de domaine à l’organisme de défense de l’appellation « Gorgonzola » (WIPO, D2021-0722, Consorzio per la Tutela del Formaggio Gorgonzola v. Whois Privacy, Private by Design, LLC / Gerald Baton, May 30, 2021).

Conclusion

Les cas gorgonzola.city, gorgonzola.club et gorgonzola.blue révèlent que les cybersquatteurs ont parfaitement conscience des failles de l’UDRP en présence d’une indication géographique. Il faut être conscient du cheminement qui mène à l’enregistrement de noms de domaine tels quel gorgonzola.city, gorgonzola.club ou gorgonzola.blue : il suffit d’une publicité ou d’une marchandise disponible dans l’épicerie voisine pour faire émerger dans l’esprit de certains l’idée d’enregistrer tel ou tel nom de domaine, sans autre projet que celui de le céder au plus légitime. En réalité, cette observation vaut pour tout signe distinctif, quel que soit sa nature et son régime juridique. Il arrive que la lecture des décisions dans lesquelles les organismes de défense des indications géographiques interviennent en qualité de demandeur laisse un goût amer. Il serait exagéré d’affirmer que les tiers-décideurs s’abandonnent à une certaine naiveté, bien que cela paraît plausible dans certains cas. En effet, ils sont liés par le régime juridique des indications géographiques qui, le moins qu’on puisse dire, a beaucoup à envier à celui des marques notoires. Néanmoins, dans certains cas, une analyse scrupuleuse des faits permet aux tiers-décideurs de balayer les arguments fantasques des cybersquatteurs.