Un bureau d’enregistrement peut-il être tenu pour responsable de l’utilisation illégale ou illicite d’un nom de domaine enregistré et contrôlé par un cocontractant dont les données Whois sont volatiles, voire fallacieuses ? Telle était la question posée aux juridictions pékinoises. Elles y ont pertinemment apporté une réponse affirmative.
La société LRC est propriétaire de plusieurs marques « Durex » enregistrées notamment en Chine. Elle a découvert que M. W. i) avait enregistré le nom de domaine durex.cn en souscrivant à un service de protection des données personnelles, ii) l’avait transféré puis acquis à plusieurs reprises, à titre gratuit, avec la complicité de personnes physiques tierces (à supposer qu’elles existent réellement), via le même bureau d’enregistrement (la société A) et iii) avait tenté de le céder à la société LRC à un prix exorbitant. À l’évidence, cette partie de cache-cache était menée dans le but, pour M. W., de se soustraire à la justice. Quant au contenu du site Internet, il faisait référence à des marques concurrentes. Le procédé a échoué puisque la société LRC a obtenu gain de cause devant les juridictions judiciaires pékinoises en faisant condamner non seulement le cybersquatteur mais également le bureau d’enregistrement.
En première instance, le tribunal a ordonné le transfert du nom de domaine durex.cn à la société LRC et a condamné conjointement M. W. et la société A à la somme de 260 000 yuans à titre de dommages-intérêts, ce qui parait relativement indulgent compte tenu des circonstances et de la mauvaise foi du principal défendeur. La société A a interjeté appel devant la cour de propriété intellectuelle de Pékin, puis devant le cour supérieure de Pékin. Elle faisait valoir qu’elle n’était pas réellement titulaire du nom de domaine (en ce sens qu’elle n’exerçait aucun contrôle sur ce bien) et arborait son statut de simple intermédiaire technique, en vain.
Sur la fourniture de services de protection de la vie privée, les juges ont indiqué que la fonction de publicité des bases de données Whois s’apparente à celle du cadastre ou du registre sur les brevets et qu’elles doivent garantir l’identification certaine des titulaires de noms de domaine. Ils ont rappelé que les bureaux d’enregistrement ne peuvent représenter ou se substituer aux titulaires de noms de domaine, serait-ce de manière fictive. En tout état de cause, le recours à un tel service ne saurait être détourné de sa finalité pour commettre des atteintes aux droits des tiers. En fait, ce qui est reproché à la société A, c’est en partie d’avoir substitué son nom à celui de M. W. Le bureau d’enregistrement aurait été mieux avisé de remplacer le nom du titulaire du nom de domaine par le terme « Redacted ». Toutefois, il n’est pas certain que cette seule manipulation lui aurait permis d’échapper à cette condamnation solidaire.
En effet, pour retenir la responsabilité solidaire de M. W et de la société A, les juges ont estimé que le bureau d’enregistrement avait failli dans sa mission consistant à vérifier la légalité et la validité des documents fournis à l’occasion de chaque transfert du nom de domaine. À vrai dire, ils sont allés plus loin en considérant que la société A avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance de l’atteinte aux droits de la société LRC puisque, d’une part, elle apportait un soutien technique à M. W., d’autre part, elle apparaissait comme titulaire du nom de domaine et, enfin, le nom de domaine concerné, identique à une marque notoire, pointait vers un site comportant un grand nombre d’informations sur des produits concurrents de la marque « Durex ». Autrement dit, la cour de Pékin impose un devoir de vigilance aux bureaux d’enregistrement et, lorsque les circonstances s’y prêtent, retient la responsabilité solidaire par fourniture de moyen.
Bien que pouvant paraître sévère, la solution est juste. La responsabilité solidaire des bureaux d’enregistrement qui ne respectent pas leur obligation de diligence vis-à-vis de la fiabilité des informations livrées dans les bases de données Whois constitue la direction juridique la plus pertinente.
Enfin, les juges ont également considéré que la société A n’était pas démunie puisque le contrat de service de protection de la vie privée comprenait une clause par laquelle elle se ménageait la possibilité d’engager une action récursoire à l’encontre de son cocontractant.
source : chinacourt.gov.cn, 2021-03-21