Institutional Shareholder Services, que nous nommerons « ISS », a déposé deux marques « ISS » auprès du United States Patent and Trademark Office les 4 et 5 juin 2020 (nos 88950188 et 88947625). ISS a engagé une procédure UDRP contre le titulaire du nom de domaine iss.mobi, enregistré le 16 mai 2020. Ce nom de domaine semblait être utilisé pour une opération de phishing. Cependant, la décision ne précise pas si ladite opération utilisait, en particulier, l’identité et la marque de la demanderesse.
La singularité de cette affaire repose sur sa chronologie. En présence d’un nom de domaine antérieur à la marque, la démonstration de la mauvaise foi paraît insurmontable. En effet, comment prouver qu’au jour de l’enregistrement du nom de domaine, le titulaire de ce dernier avait irréfutablement connaissance desdites marques ?
Au préalable, il convenait de prouver l’existence d’une marque. Pour y parvenir, ISS comptait sur sa marque non enregistrée (common law trademark). La demanderesse utilise le signe « ISS » depuis 2001 et le nom de domaine issgovernance.com depuis 2010. Ces éléments ont suffit à convaincre le tiers-décideur de l’existence d’une marque antérieure.
Prouver la mauvaise foi d’une personne implique nécessairement et systématiquement une analyse subjective visant à répondre à la question : le titulaire du nom de domaine avait-il connaissance de la marque de la demanderesse ? En l’occurrence, le tiers-décideur s’est contenté d’affirmer que le défendeur « avait une connaissance réelle des droits de la demanderesse sur la marque ISS avant l’enregistrement du nom de domaine <iss.mobi> », sans indiquer les motifs qui l’avait amené à cette conclusion. À tout le moins aurait-on pu convoquer l’article 2(b) des principes UDRP selon lequel celui qui enregistre un nom de domaine garantit que ce dernier ne portera pas atteinte aux droits des tiers. En effet, on peut en déduire de cette obligation contractuelle un devoir de procéder à une recherche d’antériorités. Cependant, dans le cadre d’une telle recherche, il paraît raisonnable de prendre les caractéristiques des marques antérieures en considération, notamment le degré de distinctivité et/ou de notoriété. En l’occurrence, ce procédé aurait révélé l’existence de plusieurs centaines de marques « ISS », marques acronymes, faibles, déposées ou enregistrées aux États-Unis, en Europe, au Japon ou ailleurs. N’est-il pas légitime de penser que le titulaire du nom de domaine n’avait pas nécessairement la marque de la société Institutional Shareholder Services dans son viseur ?
Quant à l’approche objective, le tiers-décideur a considéré que l’offre de vente du nom de domaine iss.mobi constituait un acte de mauvaise foi. L’assertion peut paraître surprenante car, en présence d’une offre de vente de nom de domaine, il est très justement suggéré de tenir compte du caractère distinctif de la marque (WIPO Jurisprudential Overview, para. 3.1.1). Or il est permis de considérer la marque « ISS » comme suffisamment faible pour ne pas faire obstacle à l’enregistrement d’un nom de domaine, même identique. Quant aux allégations de phishing, elles perdent de leur poids, dans une procédure UDRP, si la démonstration de l’usurpation n’est pas faite. Par conséquent, en l’absence d’une telle usurpation, le transfert du nom de domaine ne s’impose pas. Il n’en demeure pas moins que le tiers-décideur pourrait alerter les autorités compétentes afin que ces dernières prennent les mesures nécessaires pour faire disparaître la menace.
Finalement, la décision de transférer le nom de domaine n’allait pas de soi.
Source : NAF, FA2011001921738, Institutional Shareholder Services Inc. v. Milen Radumilo, January 18, 2021.