La société A, qui exerce une activité de vente de produits cosmétiques, avait chargé la société B, agence digitale, d’une mission d’accompagnement en stratégie digitale comportant, en particulier, la gestion des réseaux sociaux. La société A n’ayant pas payé une facture dans le délai imparti, la société B a adopté une série de mesures pour appeler l’attention de sa cliente :
- publication d’un message sur la page Facebook de la société A indiquant que le compte était bloqué « pour non-paiement des factures » ;
- suspension des comptes des réseaux sociaux de la société A ;
- rétention des code d’accès auxdits comptes.
Face à l’impétuosité de B, A l’a assignée devant le tribunal de grande instance de Strasbourg. Ce dernier a condamné B à payer à A la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts et à lui restituer les codes d’accès aux réseaux sociaux. Appel fut interjeté devant la cour d’appel de Colmar qui a confirmé le jugement de première instance (Colmar, 1re ch., sect. A, 26 mai 2021, n° 19/02784).
Le dénigrement
La société A faisait valoir que la publication du message mentionné ci-dessus la dénigrait. Pour la société B, au contraire, le dénigrement ne pouvait être retenu aux motifs, d’une part, que le message était neutre, d’autre part, que les deux entreprises ne se trouvent pas en situation de concurrence et, enfin, qu’elle n’a tiré aucun avantage de publication de l’information concernée. L’argumentation de la défenderesse est balayée par la cour d’appel :
« Cependant, d’une part, selon l’article 1382, devenu 1240, du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer et l’existence d’une situation de concurrence n’est pas nécessaire à la qualification d’une faute de dénigrement. (Com., 4 novembre 2020, pourvoi n° 18-23.757) D’autre part, même en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l’une, d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l’information en cause ne se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure. (Même référence et Com., 4 mars 2020, pourvoi n° 18-15.651).
Il en est également ainsi, et sous les mêmes réserves destinées à protéger la liberté d’expression, en cas de divulgation, par l’une des parties, d’une information de nature à jeter le discrédit sur l’autre partie.
Enfin, le dénigrement peut être constitué même si l’auteur n’en tire aucun avantage.
En l’espèce, le fait d’indiquer, sur la page Facebook de la société intimée, que son compte avait été bloqué en raison de l’absence de paiement de facture, en dépit de relances, est de nature à jeter un discrédit sur ladite société, quand bien même cette absence de paiement était exacte et que les termes utilisés étaient d’ordre purement factuel ».
La cour a donc conclu que la publication d’un tel message était fautive.
La rétention des codes d’accès
Le droit de rétention, création jurisprudentielle et doctrinale, a été entériné par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 en introduisant l’article 2286 dans le Code civil :
« Peut se prévaloir d’un droit de rétention sur la chose :
1° celui à qui la chose a été remise jusqu’au paiement de sa créance ;
2° celui dont la créance impayée résulte du contrat qui l’oblige à la livrer ;
3° celui dont la créance impayée est née à l’occasion de la détention de la chose.
Le droit de rétention se perd par le dessaisissement volontaire ».
Le troisièmement fait référence à « la chose » sans distinction de nature, ce qui inclut tant les biens matériels qu’immatériels : ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus. Le droit de rétention peut donc, en théorie, être exercé par un créancier sur un bien immatériel tel qu’un nom de domaine, des codes d’accès ou à un site Internet.
En l’espèce, les conditions permettant l’exercice du droit de rétention paraissaient réunies (créance certaine, liquide et exigible ; lien de connexité ; créancier en possession du bien). B avait exercé un droit de rétention sur codes permettant l’accès et l’administration des comptes de certains réseaux sociaux de A au motif que A n’avait pas payé une facture. Cependant, le tribunal de grande instance de Strasbourg a condamné B à restituer à A les codes d’accès permettant l’administration des comptes de réseaux sociaux. Cette décision a été confirmée par la cour d’appel de Colmar. Cependant, l’arrêt n’est pas motivé. On ne peut donc qu’émettre des hypothèses.
L’exercice du droit de rétention peut être redoutable pour le débiteur qui la subit tant la jurisprudence n’a cessé d’asseoir son efficacité et d’élargir sa portée. Toutefois, comme tout autre droit, le droit de rétention est susceptible de dégénérer en abus. On l’espèce, on peut se demander si, en dénigrant son débiteur sur la page de ce dernier à l’aide des codes litigieux, le créancier n’aurait tout simplement pas abusé de son droit de rétention.