Introduction
1. Les solutions de lutte contre le cybersquatting/typosquatting
2. Les extensions sectorielles
3. Les extensions géographiques
4. L’extension comme élément de la marque
5. La question du tiret
Conclusion
Introduction
D’emblée, il convient de rappeler que le nombre de domaines de premier niveau disponibles annihile toute velléité de constituer un portefeuille de noms de domaine exhaustif. En outre, cette situation est aggravée par le recours, incessant, à la pratique du typosquatting ou à l’adjonction d’un mot, le plus souvent de nature générique ou géographique. Autrement dit, anticiper absolument et parfaitement les enregistrements abusifs de noms de domaine est une entreprise vaine. Autant compter les étoiles ! À ces circonstances s’ajoute la menace d’une atteinte à l’image de marque par la contrefaçon, la concurrence déloyale, le phishing, l’escroquerie, les fake news, etc.
Face à cette situation pour le moins déplorable, les propriétaires de marques sont forcément contraints d’adopter des stratégies de défense. Ces dernières impliquent, en premier lieu, l’enregistrement préventif, la surveillance et, le cas échéant, les procédures juridictionnelles.
1. Solutions de lutte contre le cybersquatting/Typosquatting
L’enregistrement préventif consiste à enregistrer les noms de domaine identiques à la marque dans toutes les extensions vitales, c’est-à-dire historiques (.com, .net, .org, .info), sectorielles (par ex. : .fashion, .boutique ou .shop pour l’industrie de la mode) et géographiques correspondant aux territoires sur lesquels la marque est présente. Cette règle du jumelage (d’où « IP Twins ») consiste à s’assurer du contrôle du nom de domaine géographique correspondant à une marque territoriale : marque déposée en France/nomdedomaine.fr ; marque déposée en Suisse/nomdedomaine.ch. Au-delà, lorsque le budget le permet, l’enregistrement de noms de domaine dans les extensions géographiques correspondant à des territoires dans lesquels la marque n’est pas enregistrée peut se révéler payante, du moins lorsque cela est rendu possible par les conditions d’enregistrement fixées par le registre chargé de l’administration de l’extension concernée. En somme, puisque la nature a horreur du vide, mieux vaut le combler.
La surveillance vise à alerter le propriétaire de la marque de l’apparition de noms de domaine identiques ou similaires à ladite marque. En présence d’un portefeuille de noms de domaine constitué à l’aide d’enregistrements préventifs, la surveillance permet de détecter des noms de domaine secondaires (par opposition à « vitaux ») et similaires (typosquatting et noms de domaine formés de la marque associée à un mot). L’analyse des données collectées informe le propriétaire de la marque, d’une part, quant aux risques résultant de l’existence ou de l’utilisation des noms de domaine identifiés et, d’autre part, quant aux différentes mesures pouvant être adoptées eu égard aux circonstances de l’espèce (option sur le nom de domaine en cas de retombée dans le domaine publie, rachat, négociation ou procédure juridictionnelle).
Enfin, les procédures juridictionnelles sont des procédures réivindicatoires dans le cadre desquelles le propriétaire de la marque revendique le contrôle sur le nom de domaine. Ces procédures sont judiciaires (devant les juridictions étatiques) ou extrajudiciaires (la procédure la plus emblématique étant l’Uniform Domain Name Dispute Resolution Policy ou UDRP).
Un bref regard sur de récentes affaires de cybersquatting révèle l’efficacité des systèmes de surveillance, capables de détecter les enregistrements abusifs dans toutes les extensions et dans toutes les langues. Les procédures extrajudiciaires portant sur des noms de domaine similaires à des marques sont innombrables.
Toutefois, on est surpris de constater que de nombreuses procédures extrajudiciaires portant sur des noms de domaine identiques à des marques auraient pu être prévenues par le simple recours à l’enregistrement, qu’il s’agisse d’extensions sectorielles (Tableau 1) ou géographiques (Tableau 2).
2. Les extensions sectorielles
L’exemple relatif au nom de domaine lego.art est intéressant. En effet, en août 2020, la société Lego avait annoncé le lancement d’une nouvelle collection dédiée à l’art. Cependant, elle avait omis de réserver ce nom de domaine qui, par conséquent, fut enregistré par un tiers en janvier 2021. Cette situation a donné lieu à une procédure extra-judiciaire qui n’est pas arrivée à son terme (WIPO, D2021-2205). Cette omission pourrait trouver une explication dans la volonté de l’entreprise de ne pas dévoiler au grand public la nature de la collection à venir en enregistrant le nom de domaine lego.art. Toutefois, cette hypothèse est peu plausible car la réservation anticipée de ce nom de domaine aurait pu se faire de manière anonyme.
Les cas <auchan.online> (WIPO, D2021-1180, ELO v. 晁越 (Chao Yue), August 5, 2021) et <kiehls.boutique> (D2021-1636, L’Oréal Privacy Service Provided by Withheld for Privacy ehf / KHALID Ajan, July 12, 2021) sont tout aussi intéressants. Auchan agit dans la grande distribution, tandis que la marque Kiehls désigne des produits cosmétiques. Auchan et Kiehls sont également des enseignes dont la renommée repose substantiellement sur de nombreux points de vente ou autrement dit « boutiques », « shops » ou « stores ». Ces deux exemples, parmi d’autres, tendent à démontrer que la réservation préventive de noms de domaine dans les seules extensions historiques, devenue insuffisante, doit être étendue aux extensions sectorielles (en l’occurrence, à titre d’exemple : .drive, .grocery, .shop ou .store s’agissant de la grande distribution et .beauty, .boutique, .cosmetics, .shop ou .store pour une marque de cosmétique).
Dans la même veine, on pourrait utilement citer les cas <sezane.fashion> (WIPO, D2021-2248, Benda Bili contre François Joseph de Boissieu, 18 août 2021), la marque Sézane étant une marque de mode, et <pinktv.live> (D2021-2415, PINK TV Cihan Sabyan, Angels Models LTD UK 12848828, September 13, 2021), l’extension .live paraissant incontournable dans le secteur médiatique ou encore <oranje.casino> (WIPO, D2021-1228, BML Group Limited Oranje Casino Ltd. Private Registration, NameBrightPrivacy.com / Max Wood Registration Private, Domains By Proxy, LLC / Jorn Oranje / Nevada x / M.L. Groottebrug, Sersk BV / Eric Mijnlieff / Marc Green, July 20, 2021). La situation est plus alarmante dans ce dernier exemple puisque la demande de transfert a été rejetée.
Plus généralement, certaines extensions doivent faire l’objet d’une attention particulière. Ce sont les extensions « corporate » et comme telle peut poser problème car elle peut potentiellement s’appliquer à toutes les entreprises. Carreer et carreers. De même pour .company. .corporate, .enterprises, .holding, .industries, .group,
Malgré tout, il existe des cas de cybersquatting par enregistrement à l’identique qui ne peuvent être anticipés. L’exemple typique est celui de la réservation d’un nom de domaine identique à une marque dans une extension qui n’a aucun rapport avec les produits ou services désignés par ladite marque. Ainsi, la société Dalkia, spécialisée dans les services énergétiques et la production d’énergie, se trouvait difficilement en mesure d’anticiper la réservation, par un tiers indélicat, du nom de domaine dalkia.ninja (D2021-2100, procédure terminée sans décision extra-judiciaire). D’où l’intérêt qu’il peut y avoir à recourir à des services de surveillance capables de débusquer de tels noms de domaine.
3. Les extensions géographiques
Quelle que soit leur portée, les extensions géographiques doivent être mises à contribution dans le cheminement « glocal » de la marque : dans son expansion globale comme dans son ancrage local. La réservation des noms de domaine correspondant aux territoires dans lesquels la marque est présente ne peut être considérée comme une option. Elle s’impose d’elle-même, non seulement pour des raisons juridiques liées à la protection de la marque, mais également parce que la commercialisation via une extension continentale (.africa, .asia, .eu, .lat), nationale (.au pour l’Australie, .fr pour la France, .es pour l’Espagne, .eu pour l’Union européenne, .ch pour la Suisse et tant d’autres), régionale (.bzh pour la Bretagne, .cat pour la Catalogne ou .re pour la Réunion) ou locale (les nombreuses extensions dites cityTLDs) est synonyme de proximité, de confiance et de déférence à l’égard du consommateur. Dès lors, la réservation à l’identique s’impose partout où la marque existe.
Par exemple, la société pakistanaise Zameen Media a engagé une procédure aeDRP (Émirats Arabes Unis ou EAU) pour le contrôle de <zameen.ae> en arguant d’une présence commerciale significative dans l’émirat (WIPO, DAE2021-0002, Zameen Media (Private) Limited v. Rashed Saeed Saif Aleter Aldhanhani, February 16, 2021). Une application rigoureuse de la règle de jumelage aurait suffi à écarter les désagréments d’une procédure extra-judiciaire.
4. L’extension, élément de la marque
Il arrive qu’une extension générique (hors brandTLDs) soit un composant d’une marque. En pareille situation, l’enregistrement du nom de domaine s’impose. Ainsi, les procédures relatives aux noms de domaine <allergy.partners> et <unique.photo>, engagées respectivement par les sociétés « Allergy Partners » et Unique Photo, auraient dû être évitées par le simple enregistrement des noms de domaine concernés (WIPO, D2021-1341, Allergy Partners, PLLC Withheld for Privacy Purposes, Privacy service provided by Withheld for Privacy ehf / Gabriella Garlo, June 20, 2021 et WIPO, D2021-1461 Unique Photo, Inc. c. inconnue, Date inconnue, procédure terminée).
Dans le même ordre d’idée, les entreprises qui développent des programmes de fidélité doivent porter un regard attentif aux extensions telles que .gold et .vip (., par ex. : D2021-1663, Hertz System, Inc. Privacy service provided by Withheld for Privacy / Gabriella Garlo hertz.gold, July 13, 2021, à propos du nom de domaine <hertz.gold> ou encore WIPO, D2016-1919, Accor and SoLuxury HMC v. He Yong Jian, November 9, 2016, concernant le nom de domaine <sofitel.vip>).
5. Le tiret : avec ou sans ?
Nombreuses sont les marques désignant une personne physique (en l’occurrence, prénom et nom) ou composées de deux ou plusieurs mots). Toutefois, les noms de domaine ne supportent pas les tirets. Bien souvent (entendez « trop souvent »), la question est posée : avec ou sans tiret(s) ? Or la question ne devrait pas se poser. Seule la réponse « avec et sans » vaut. Écarter l’une des deux possibilités revient à « offrir » le nom de domaine résiduel à un cybersquatteur. Là encore, la jurisprudence récente offre quelques exemples de procédures qui auraient pu être évitées par le simple enregistrement du nom de domaine concerné, a fortiori lorsqu’il s’agit d’un domaine de premier niveau historique tel que le .com (v., par ex. : WIPO, D2021-1235, PETITS-FILS v. Domain Admin, Hush WhoIs Protection Ltd., June 7, 2021, <petis-fils.com>, transfert ; WIPO, D2021-1898, Ivy Hill Asset Management, L.P. Domain Admin, Privacy Protect, LLC (PrivacyProtect.org) / Johnson, GNAME.COM PTE. LTD., August 24, 2021, <ivy-hill.com>, Transfert ou encore WIPO, DEU2021-0012, Société SAMSE contre Nicolas Mabileau, 20 juin 2021, pour le nom de domaine <groupesamse.eu>, la demanderesse exploitant le nom de domaine <groupe-samse.fr>).
Conclusion
La gestion de portefeuilles de noms de domaine requiert une certaine connaissance des extensions existantes et la tenue d’audits à échéances régulières.
Enfin, sur le plan budgétaire, on rappellera que, dans la quasi-totalité des cas, les coûts engendrés par une procédure extra-judiciaire couvrent amplement ceux du renouvèlement pour des décennies, permettant ainsi d’agir davantage sur les cas de typosquatting.