En 2015, la société de droit américain France.com, Inc., titulaire du nom de domaine éponyme depuis 1994, a assigné la société néerlandaise Traveland Resorts devant le tribunal de grande instance de Paris (aujourd’hui devenu « tribunal judiciaire ») pour faire annuler des marques françaises et européennes contenant l’expression « France.com ». La surprise est venue de l’État français qui est intervenu volontairement dans l’instance pour rafler la mise en revendiquant les marques (à titre principal) ou en demandant leur annulation (à titre subsidiaire) et le transfert du nom de domaine france.com. Finalement, les sociétés France.com, Inc. et Traveland Resorts ont transigé : Traveland Resorts a cédé les marques à France.com, Inc., en contrepartie de quoi elle s’est désistée de son action devant le tribunal de grande instance. Au demeurant, on ne voit pas comment les sociétés France.com, Inc. et Traveland Resorts auraient pu envisager un usage commercial paisible de leurs signes respectifs. En tout état de cause, l’État français, bien décidé à mettre tout le monde d’accord, a maintenu sa position. L’affaire fut portée devant la cour d’appel de Paris et c’est dans un arrêt du 22 septembre 2017 que la cour a ordonné i) le transfert du nom de domaine France.com au bénéfice de l’État français et ii) prononcé l’annulation des marques françaises « France.com » (legalis.net).
Premièrement, s’agissant des marques, la Cour d’appel de Paris a fondé sa décision sur le raisonnement suivant :
« Considérant que l’énumération des droits antérieurs visés par l’article L 711-4 du code de la propriété intellectuelle n’étant pas exhaustive, la dénomination « France » revendiquée par l’État français est susceptible de constituer une antériorité aux dépôts des marques françaises en cause dès lors qu’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public ;
Considérant qu’il n’est pas démontré ni même allégué par la société France.com que l’État français avait connaissance de l’usage des signes litigieux par la société déposante avant la publication de leur cession intervenue en juillet 2015 de sorte qu’une forclusion par tolérance ne peut être opposée à l’intimée ;
Considérant que contrairement à ce que soutient l’appelante, l’appellation « France » constitue pour l’État français un élément d’identité assimilable au nom patronymique d’une personne physique ; que ce terme désigne le territoire national dans son identité économique, géographique, historique, politique et culturelle, laquelle a notamment vocation à promouvoir l’ensemble des produits et services visés aux dépôts des marques considérées ; que le suffixe .com correspondant à une extension internet de nom de domaine n’est pas de nature à modifier la perception du signe ;
Considérant ainsi, que le grand public identifiera ces produits et services comme émanant de l’État français ou à tout le moins d’un service officiel bénéficiant de la caution de l’État français ; que le risque de confusion est en outre renforcé par la représentation stylisée des frontières géographiques de la France dans les marques complexes en cause ;
Considérant qu’il convient en conséquence d’annuler les marques françaises France.com n°3661596, n°3661598, n°3661602, n°3661600 et n°3661603 déposées le 2 juillet 2009 pour l’ensemble des produits et services visés aux dépôts ».
Secondement, s’agissant du nom de domaine france.com, la cour d’appel de Paris a adopté les motifs suivants :
« Considérant que pour des motifs identiques à ceux déjà exposés, ce nom de domaine permettant d’accéder à un site internet dédié au tourisme en France, porte atteinte à l’appellation « France » qui constitue pour l’État français un élément de son identité ;
Que le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a fait droit à la demande de transfert au profit de l’intimé, la bonne foi invoquée par la société France.com, à la supposer établie, étant ici inopérante ;
Qu’enfin et à supposer que le dispositif des dernières écritures de l’appelante contienne une fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action en revendication du nom de domaine, il suffit de rappeler qu’un nom de domaine est un bien meuble incorporel, non susceptible de tradition manuelle, et auquel en conséquence les dispositions de l’article 2276 du code civil ne sont pas applicables ainsi que l’a relevé le tribunal ».
Le raisonnement de la cour d’appel de Paris est classique. Il repose sur trois arguments.
Premièrement, la cour s’est contentée de faire une application de l’article L 711-4 conforme à la loi et à la jurisprudence. Il suffit de rappeler que cette disposition énumère les droits antérieurs susceptibles de faire échec au dépôt d’une marque, dont les marques antérieures (L 711-4 a) et les dénominations sociales (L 711-4 b), mais aussi les droits de la personnalité des personnes physiques, c’est-à-dire leur nom patronymique, leur pseudonyme ou leur image (L 711-4 g). Lorsque la cour d’appel retient, dans ses motifs, que « l’appellation « France » constitue pour l’État français un élément d’identité assimilable au nom patronymique d’une personne physique », elle procède simplement à une analogie renvoyant à l’article L 711-4 g). Elle aurait également pu fonder ce raisonnement a pari en faisant référence à l’article L 711-4 h) qui protège le nom et l’image ou la renommée d’une collectivité territoriale ou, autrement dit, des « éléments de leur identité ». Or, à l’instar des collectivités territoriales, l’État français dispose bien d’éléments constitutifs de son identité, à commencer par le nom « France ». Certes, l’idée d’une personnification de l’État est, certes, séduisante, comme emprunte de romantisme. Cependant, elle tend à laisser croire, en particulier outre-Atlantique, que la décision de transfert du nom de domaine serait, ainsi, dénuée de tout fondement juridique. Or ce n’est pas le cas, comme cela vient d’être démontré.
Deuxièmement, la cour rappelle que l’État — à l’instar des collectivités territoriales — est un opérateur économique ayant « notamment vocation à promouvoir l’ensemble des produits et services visés aux dépôts des marques considérées ».
Enfin, le troisièmement découle du second puisque la cour a insisté sur le risque de confusion dans l’esprit public, comme elle le fait systématiquement dans les affaires soulevant des questions de validité de marque, de contrefaçon ou de concurrence déloyale. La société France.com, Inc. a formé un pourvoi en cassation.
Elle a également assigné l’État français devant les juridictions de l’État de Virginie (France.com, Inc. v. The French Republic (1:18-cv-00460)). Au-delà des questions liées à la compétence territoriale, France.com, Inc. tentait de faire valoir que l’État français avait commis :
- un acte de cybersquatting ;
- un acte de reverse domain name hijacking ;
- une expropriation non assortie de compensation financière ;
- une contrefaçon de marque ; et
- des actes de concurrence déloyale.
En défense, l’État français avait demandé au juge de rejeter les demandes de la société France.com, Inc. sur le fondement de l’immunité souveraine, en vertu du Foreign Sovereign Immunities Act (FSIA). Le 6 décembre 2019, le juge Liam O’Grady avait rejeté la demande de l’État français non sur le fond mais au motif que la question de l’immunité ne pouvait être examinée préalablement à l’échange des informations nécessaires à l’établissement des preuves destinées à appuyer les arguments des parties (France.com, Inc. v. The French Republic (1:18-cv-00460)). Le 25 mars 2021, la cour d’appel pour le quatrième circuit a infirmé cette décision en rappelant que la question de l’immunité de juridiction prévaut sur celle de la discovery (France.com, Inc. v. The French Republic, No. 20-1016 (4th Cir. 2021)) : « le FSIA visant à libérer un souverain étranger des poursuites intentées contre lui, la question de l’immunité doit être abordée aussi tôt que possible », in limine litis. On voit mal comment il pourrait en être autrement, sauf à priver le mécanisme de l’immunité souveraine de sa fonction et à le vider de son utilité. La cour s’est donc prononcée sur la demande de l’État français et l’a accueillie favorablement au regard des dispositions du FSIA.
En résumé, la cour a reconnu à l’État français une présomption d’immunité que la société France.com, Inc. a tenté de renverser, en vain, en visant deux des exceptions prévues par le FSIA : d’une part, l’activité commerciale et, d’autre part, l’expropriation.
S’agissant de la première exception, le FSIA prévoit la possibilité de lever l’immunité souveraine s’il est établi que l’État étranger exerce une activité commerciale ayant un lien de connexité avec le territoire des États-Unis. Or, selon la cour, il ressort de la demande que « le comportement que la société France.com, Inc. reproche à l’État français ne concerne pas l’utilisation ultérieure du site, mais la décision judiciaire jugeant que <France.com> appartient à proprement parler à l’État français » (France.com, Inc. v. The French Republic, No. 20-1016 (4th Cir. 2021)). En outre, selon la cour, « les motivations ayant amené l’État français à intervenir dans le procès français sont inopérantes ». Et la cour de conclure :
« Les réclamations de la société France.com, Inc. découlent d’un jugement défavorable d’un tribunal étranger — dans le cadre d’une procédure engagée par la société elle-même — entraînant le transfert du nom de domaine, et non d’une activité commerciale qui aurait pu suivre ce transfert. Par conséquent, l’exception d’activité commerciale ne s’applique pas » (France.com, Inc. v. The French Republic, No. 20-1016 (4th Cir. 2021)).
Quant à l’exception d’expropriation, la cour a rappelé qu’il appartient au demandeur de démontrer, entre autres exigences, que l’acte qualifié d’expropriation constitue ou conduit à une violation du droit international. À cet égard, la société France.com, Inc. alléguait que le procès français était biaisé. Or, toujours selon la cour, la société France.com, Inc. n’a pas démontré en quoi elle aurait été privée d’un procès équitable. Au vu des circonstances, une telle allégation semble, en effet, vouée à l’échec.