Titre : ACPA : traiter les atteintes aux noms de domaine devant les tribunaux américains
Sous-titre : Des cas exceptionnels où l’ACPA est utilisée à la place de l’UDRP
L’ACPA (Anticybersquatting Consumer Protection Act) fait l’actualité depuis peu, à la suite d’un amicus brief [1] déposé le mois dernier par l’INTA, visant à amener la Cour suprême des États-Unis à trancher la question de savoir si le renouvellement d’un nom de domaine peut constituer une « nouvelle inscription » (“re-registration”). Cet article n’entrera pas dans ce débat, déjà résumé dans un excellent article publié par Domain Name Wire[2]. Nous souhaitons plutôt prendre du recul et poser une question plus fondamentale :
Quelle est l’utilité de l’ACPA, compte tenu de l’immense efficacité de l’UDRP pour traiter les cas de cybersquatting ?
Pour celles et ceux qui ne la connaissent pas, l’ACPA[3] est une loi américaine de 1999 qui fixe le cadre permettant aux tribunaux d’ordonner « la confiscation ou l’annulation du nom de domaine, ou le transfert du nom de domaine au titulaire de la marque ».
Cela vous paraît familier ? L’UDRP, également introduite en 1999, prévoit « l’annulation du nom de domaine ou le transfert de l’enregistrement du nom de domaine au requérant ».
L’UDRP présente plusieurs avantages majeurs par rapport à une action fondée sur l’ACPA : l’UDRP est obligatoire pour tous les bureaux d’enregistrement de noms de domaine génériques (gTLD) et a été adoptée volontairement par plusieurs registres nationaux (ccTLD) dans le monde, tandis que l’ACPA requiert que le bureau d’enregistrement ou le registre soit établi aux États-Unis. Par ailleurs, les procédures UDRP sont moins onéreuses pour le plaignant et plus rapides à résoudre.
Pourtant, des marques continuent d’être impliquées dans des affaires ACPA, par exemple :
- Instructure, Inc. v. Canvas Technologies (2021)
Nom de domaine : canvas.com - Prudential v. Zhang (2020)
Nom de domaine : pru.com - Blair v. Automobili Lamborghini SpA (2024)
Nom de domaine : lambo.com
Il ne s’agit là que de trois exemples, tirés d’un échantillon relativement restreint d’affaires récentes fondées sur l’ACPA. Soyons clairs : pour les raisons de célérité et de coût rappelées ci-dessus, l’UDRP demeure le recours privilégié des titulaires de marque face au cybersquatting. Les demandeurs dans les affaires mentionnées n’ignoraient pas l’existence de l’UDRP ; ils ont plutôt choisi les tribunaux américains pour d’autres raisons. Inférer ces raisons peut être utile pour identifier les circonstances exceptionnelles qui justifient encore le dépôt d’une action sur le fondement de l’ACPA.
Quand l’objectif est de contraindre une autre entreprise à procéder à un rebranding. Dans Instructure v. Canvas Technologies, le demandeur utilisait la marque Canvas bien avant le défendeur, mais n’était pas disposé à payer le prix élevé pour acquérir canvas.com. Lorsque le défendeur a obtenu ce nom de domaine, les consommateurs ont cru à tort que canvas.com était le site officiel du demandeur, d’autant plus problématique que les services proposés se chevauchaient en partie.
Le demandeur a pu centrer son argumentation sur le préjudice subi par son entreprise dans le cadre de l’action ACPA, un élément moins déterminant en UDRP. La procédure a abouti : une injonction a été prononcée, contraignant le défendeur non seulement à cesser d’utiliser canvas.com, mais aussi à changer entièrement d’identité de marque (comptes de réseaux sociaux, signalétique physique, etc.). Le demandeur exploite aujourd’hui canvas.com comme URL principale, et le défendeur exerce sous le nom Untapped (untapped.io).
Quand l’UDRP risque de ne pas aboutir. Dans Prudential v. Zhang, la société Prudential a déposé puis retiré une plainte UDRP (D2020-0714). L’avocat du défendeur a émis l’hypothèse que le plaignant avait opté pour l’ACPA en pensant que ses chances de succès étaient plus élevées[4]. Si tel était le cas, le conseil du plaignant a eu raison : le tribunal américain a donné gain de cause à Prudential, et pru.com est désormais sous son contrôle. La procédure UDRP D2020-0714 ayant été retirée, on ne saura pas comment elle aurait été tranchée, mais on peut relever que Prudential avait déjà perdu une procédure UDRP antérieure portant sur le même nom de domaine pru.com (Prudential v. PRU International[5].
Quand on recherche un jugement déclaratoire. Blair v. Lamborghini est une action intentée immédiatement après une décision UDRP rendue en faveur du défendeur, Lamborghini, avec une opinion dissidente. Peut-être encouragée par cette dissidence, la partie perdante (Blair) a saisi la justice américaine pour demander que le tribunal déclare que l’enregistrement ne violait pas l’ACPA et que le registrar américain Namesilo ne soit pas tenu de transférer le domaine à Lamborghini, comme l’aurait exigé l’exécution de la décision UDRP. Le tribunal de district a tranché en faveur de Lamborghini, accordant un jugement sommaire sur le fondement de l’ACPA et rejetant la plainte du titulaire avec préjudice.
Cette affaire diffère des deux précédentes en ce que c’est la grande marque qui était défenderesse, mais les rôles pourraient aisément s’inverser. Imaginez qu’une marque présente aux États-Unis perde une UDRP qu’elle estimait fondée. Si la marque était défenderesse dans l’UDRP, elle pourrait, comme Blair l’a fait, demander au tribunal de constater l’absence de violation de l’ACPA. Si elle était plaignante, elle pourrait déposer une action ACPA comme une sorte d’« appel » de la décision du tiers-décideur.
Conclusion
L’UDRP reste le moyen éprouvé permettant à un titulaire de marque d’obtenir le transfert de noms de domaine utilisés pour du cybersquatting. Le amicus brief déposé par l’INTA est digne d’intérêt et la définition de la « date d’enregistrement » en droit américain pourrait influer sur l’issue de futures affaires ACPA, mais rien n’indique que ces actions deviendront courantes.
Au-delà de la mise en perspective de l’actualité autour de l’ACPA, cet article propose un aperçu de situations concrètes vécues par des marques proches de celles de nos lecteurs, dans lesquelles l’ACPA s’est révélée pertinente. IP Twins, présente aux États-Unis et s’appuyant sur un réseau de conseillers, peut accompagner l’évaluation de toute application potentielle de l’ACPA si une situation similaire devait se présenter pour un client.
Notes
[1] INTA Urges Supreme Court to Resolve Circuit Split on the Meaning of “Registration” Under the ACPA – International Trademark Association.
[2] INTA asks Supreme Court to weigh in on cybersquatting law – Domain Name Wire | Domain Name News.
[3] PLAW-106publ113.pdf (SECURED) – See Page 347.
[4] The Cybersquatting law divide – DNW Podcast #423 – Domain Name Wire | Domain Name News.
[5] UDRPsearch – NAF 101800 – The Prudential Insurance Company of America | PRU International.