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NFTs et propriété intellectuelle : résumé d’un rapport remis au Congrès des Etats-Unis

Le 9 juin 2022, le président, entre autres, de la sous-commission sur la propriété intellectuelle du Comité judiciaire du Sénat américain, a sollicité une étude sur les questions juridiques en matière de propriété intellectuelle associées aux NFTs, ce afin de comprendre comment ces derniers s’intègrent dans le cadre des droits de propriété intellectuelle actuels et futurs. Le 23 novembre 2022, l’Office américain des brevets et des marques (USPTO) et le Bureau du droit d’auteur des États-Unis (U.S. Copyright Office) ont publié un appel à commentaires de la part des parties prenantes. En réponse, les deux institutions ont reçu soixante commentaires de divers intervenants, dont des organisations industrielles, des entreprises, des artistes et des inventeurs. Une série de trois tables rondes publiques en ligne a également été organisée en janvier 2023 pour recueillir des contributions supplémentaires (Joint study on intellectual property rights and non-fungible tokens | USPTO). Cette réflexion a donné lieu à un rapport publié le 12 mars 2024 (Non-Fungible Tokens and Intellectual Property: A Report to Congress (uspto.gov)).

 

Définition d’un jeton non-fongible (ou NFT)

 

Il n’existe pas de définition unique et universellement acceptée des NFTs. Cependant, comme il importe de nommer les choses, les auteurs ont retenu la définition suivante : un jeton non-fongible (unique et non interchangeable) est :

  1. un jeton cryptographique unique (leurs caractéristiques techniques garantissent que leurs données ne sont disponibles qu’aux utilisateurs autorisés) ;
  2. dont la propriété est enregistrée sur une blockchain ou un autre système de grand livre distribué (distributed ledger system) (système de base de données distribué qui enregistre et stocke des informations de manière immuable) ; et
  3. qui confère au propriétaire des droits ou un accès à un ou plusieurs actifs ou droits (pp. 2-5).

En effet, les NFTs peuvent fournir à leurs propriétaires des droits ou un accès à divers actifs. Les auteurs insistent sur la distinction entre le jeton et l’actif ou le droit associé car posséder un NFT ne signifie pas nécessairement posséder les droits de propriété intellectuelle sur l’actif associé.

 

NFTs et droits d’auteur

 

Les considérations en matière de droit d’auteur liées aux NFTs sont diverses. La plus évidente concerne la frappe d’un NFT constituant la copie d’une œuvre protégée par le droit d’auteur, ce qui met en jeu le droit exclusif de reproduction du ou des titulaires des droits d’auteur (l’auteur lui-même, le cessionnaire ou le licencié). En outre, les auteurs du rapport rappellent que le simple fait de stocker un actif associé à un NFT peut également impliquer des questions de droits d’auteur puisque, le plus souvent, le stockage en chaîne requiert la création d’une copie de l’œuvre. De plus, il va de soi que la commercialisation d’un NFT engage des questions de droits d’auteur. En outre, l’œuvre devant être différenciée de son support, transférer un NFT implique la réattribution de la possession du jeton numérique, mais pas nécessairement des droits d’auteur sur l’œuvre concernée, de sorte qu’un accord distinct est souvent nécessaire pour transférer ces droits. Enfin, les contrats intelligents (smart contracts) peuvent automatiser certaines parties de ce processus, mais les auteurs du rapport au Congrès appellent à la vigilance quant à la validité juridique de tels transferts.

 

Pour les auteurs de ce rapport, les lois états-uniennes existantes sont adéquates pour faire respecter les droits d’auteur contre les violations nées de la création ou de l’utilisation des NFTs. Ainsi rappellent-ils que les titulaires de droits peuvent exercer ces derniers en recourant aux outils tels que le système de notification et de retrait du Digital Millennium Copyright Act (DMCA), lequel permet de demander la suppression d’un NFT contrefaisant. Cependant, les auteurs reconnaissent que la mise en œuvre demeure contraignante et parfois laborieuse en raison, d’une part, de l’anonymat des contrefacteurs et, d’autre part, du caractère décentralisé du stockage des NFTs, ce qui rend difficile l’identification des contrevenants et la suppression des copies contrefaisantes.

 

NFTs et marques

 

Les propriétaires de marques peuvent trouver plusieurs utilités aux NFTs, à commencer par la fonction consubstantielle à une marque qui consiste à désigner la provenance des produits. Les NFTs peuvent également jouer un rôle dans la gestion des droits de marque. Enfin, les entreprises peuvent employer les NFTs comme une nouvelle forme de média pour atteindre de nouveaux consommateurs avec des produits et services interactifs.

 

Les auteurs du rapport rappellent que dans le cadre d’une procédure d’enregistrement de marque ou d’extension de marque, l’USPTO exige des descriptions spécifiques des biens et services liés aux NFTs. Dans le cadre de cet exercice, il importe de décrire les actifs ou services proposés avec précision. Les classifications des biens et services associés aux NFTs sont déterminées en fonction des caractéristiques des actifs ou des services sous-jacents, et non du NFT lui-même. Le USPTO’s Trademark Next Generation ID Manual (dit « ID Manual ») fournit une liste d’identifications acceptables pour les produits et services liés aux NFTs dans les enregistrements de marques. Cette liste est régulièrement mise à jour pour refléter l’évolution des pratiques du marché et comprend des exemples spécifiques, dont les suivants :

  • Classe 009 : fichiers d’images téléchargeables authentifiés par NFT ;
  • Classe 016 : peintures authentifiées par NFT ; ou encore
  • Classe 35 : un marché en ligne pour l’achat et la vente de biens authentifiés par des NFT.

Certains commentateurs avaient suggéré d’élargir la liste de ces biens et services pour mieux représenter le large éventail de ceux liés aux NFTs. Ainsi, des termes tels que « téléchargeable » pouvaient ne pas toujours être exacts car de nombreux actifs liés aux NFTs sont stockés sur des plateformes tierces et accessibles par les acheteurs sans téléchargement. En réponse, le 20 avril 2023, l’USPTO a ajouté, au manuel d’identification, de nouvelles identifications pour les biens et services liés aux NFTs.

 

Concernant les désignations de la classification internationale, certains commentateurs avaient également recommandé de prendre en compte la gamme complète de biens et services associés aux NFTs, soulignant la nécessité de différencier plus clairement les biens et les services dans le système de classification. Par la suite, l’USPTO a plaidé auprès du Comité d’experts de la classification de Nice en faveur d’une réforme qui a finalement abouti à l’ajout de nouvelles entrées dans la liste alphabétique (dans les classes 9, 25, 35 et 42).

 

Les auteurs du rapport observent que la contrefaçon de marques est courante sur les plateformes NFTs. Certains commentateurs représentant des entreprises propriétaires de marques s’inquiètent à la fois du volume de la contrefaçon et du degré de collaboration des intermédiaires :

 

« Un commentateur a noté que les propriétaires de marques ne sont pas convaincus que les plateformes NFT supprimeront les utilisations non autorisées d’une marque en relation avec des biens numériques sur la base d’un enregistrement de marque pour des biens physiques similaires » (p. 54).

 

Cette intervention démontre, par ailleurs, la nécessité d’étendre la portée matérielle de la marque aux biens et services concernés. Cependant, la validité (même partielle) d’une marque étant subordonnée à son utilisation dans la vie des affaires, cela contraint également les propriétaires d’une marque à employer cette dernière pour lesdits biens et services, ce qui implique des investissements parfois non prévus. Dans ces conditions, il est souhaitable que les juges qui auraient à se prononcer sur de tels cas fassent preuve de compréhension à l’égard des propriétaires de marques.

 

Les auteurs du rapport ajoutent que les noms de domaine basés sur la blockchain constituent une source d’inquiétude sérieuse pour les propriétaires de marques en raison des risques de cybersquatting.

 

Résolution des Litiges

 

Le rapport propose, à raison, la création d’un mécanisme centralisé pour régler les litiges impliquant des noms de domaine basés sur la blockchain, calqué sur le modèle de l’ICANN dit « UDRP » pour « Uniform Domain Name Dispute Resolution Policy », lequel a prouvé son efficacité de la fin de l’année 1999.

 

Recommandations

 

Le rapport comporte un certain nombre de recommandations émises par les parties prenantes en direction des plateformes NFT :

 

  1. Vérification des vendeurs ;
  2. Transparence (fournir des informations claires notamment sur les droits de propriété intellectuelle transférés lors de la vente) ;
  3. Encodage des informations : encoder les informations sur les droits de propriété intellectuelle dans les NFTs et les rendre accessibles aux acheteurs ;
  4. Divulgation des identités pour aider les titulaires de droit à identifier les contrefacteurs ;
  5. Développer des outils permettant aux titulaires de droits de détecter les contrefaçons ;
  6. Proposer un mécanismes de suppression des contrefaçons (en conformité avec la loi DMCA).
  7. Adopter des mesures à l’encontre des récidivistes.

En somme, il ressort de ces recommandations que les parties prenantes encouragent les plateformes à se conformer à la loi et aux meilleures pratiques en matière de lutte contre la contrefaçon en ligne.

 

Légiférer ?

 

Quant à la nécessité de légiférer, les auteurs du rapport adoptent une approche patiente et prudente justifiée par la nature évolutive et rapide de la technologie NFT. Autrement dit, mieux vaut, à ce stade, ne pas brider la créativité des acteurs du secteur.

 

Ce faisant, les auteurs du rapport états-unien adoptent une position qui diffère de celle retenue par les britanniques dans un rapport tout aussi récent (Recommandation de la Commission européenne sur les mesures à adopter pour combattre la contrefaçon – IP Twins, 2024.03.220).

 

Utilisation des technologies blockchain par l’USPTO

 

Enfin, la technologie blockchain pourrait également être intégrée à certains processus de l’office états-unien des marques et des brevets, par exemples pour la délivrance de certificats d’enregistrement de marques ou les échanges d’informations entre offices de propriété intellectuelle, notamment pour éliminer la nécessité pour les propriétaires de marques de présenter des copies certifiées conformes des enregistrements aux offices étrangers.