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Les statistiques de l’OMPI sur le cybersquatting : la partie émergée de l’iceberg

Chaque début d’année est marqué par la diffusion des statistiques du Centre d’Arbitrage et de Médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) concernant les procédures relatives aux noms de domaine. Ces données présentent une certaine utilité pour les spécialistes de la protection des marques en ligne. Cependant, elles ne permettent pas d’appréhender le phénomène du cybersquatting dans toute son ampleur.

Les statistiques de l’OMPI : une certaine idée du cybersquatting

Depuis la création de la procédure uniforme de règlement des litiges relatifs aux noms de domaine (Uniform Domain Name Dispute Resolution Policy ou « UDRP ») à la fin de l’année 1999, l’OMPI est de loin l’institution de règlement des litiges qui administre le plus de procédures. Les outils statistiques de l’OMPI peuvent donc révéler, avec une légitimité et une fiabilité reconnue, certains aspects du phénomène de cybersquatting.

Pour commencer, relevons qu’en 2023, l’OMPI a administré 428 procédures de plus que l’année précédente (5764 en 2022 et 6192 en 2023), ce qui représente une augmentation de 7,43%, marquant ainsi une continuité relative par rapport aux années précédentes.

Source : wipo.int

Il doit être précisé, d’une part, que 80% des noms de domaine concernés sont des .COM et, d’autre part, que 70% des procédures aboutissent au transfert des noms de domaine, tandis que 3% seulement sont des décisions de rejet (wipo.int). A la lumière de ces données, on peut affirmer que le cybersquatting continue de progresser.

Ces chiffres méritent d’être mis en corrélation avec, d’une part, la proportion d’individus ayant accès à l’Internet et, d’autre part, l’augmentation incessante du nombre de noms de domaine.

Ainsi, en 2022, 61% de la population mondiale avait accès à l’Internet (soit 5,1 milliards de personnes) contre 67% (5,4 milliards) en 2023 (itu.int).

Source : itu.int

Ajoutons qu’en novembre 2022, on comptait 349,9 millions de noms de domaine, dont 160,9 millions de .COM (dnib.com), tandis qu’en novembre 2023, il en existait 359,3 millions, dont 160,8 millions de .COM (dnib.com). La progression du nombre total de noms de domaine entre 2022 et 2023 est donc d’environ 2,69%.

Le cybersquatting semble donc évoluer en parallèle avec l’augmentation de la population mondiale et le nombre croissant de noms de domaine. Cette corrélation peut s’expliquer par le fait que, à mesure que la population mondiale augmente, la digitalisation s’intensifie et le besoin en noms de domaine distinctifs s’accroît. En conséquence, les opportunités de cybersquatting se multiplient, car les entreprises et les individus cherchent à sécuriser des noms de domaine uniques et pertinents dans un espace Internet de plus en plus encombré. Cette situation est exacerbée par la création continue de nouvelles extensions, offrant ainsi un terrain encore plus vaste pour les cybersquatteurs. Autant dire qu’en l’état actuel du droit, le cybersquatting a encore de beaux jours devant lui.

Sans surprise, les secteurs d’activité les plus exposés au cybersquatting sont les suivants :

Source : wipo.int

Enfin, il convient d’observer que la part du .COM progresse parmi les generic Top-Level Domains (gTLDs) :

  • 70% en 2021 ;
  • 78,5% en 2022 ; et
  • 80% en 2023.

(source : wipo.int)

Faut-il en déduire que les nouveaux gTLDs n’ont pas la côte auprès des cybersquatteurs ? Cette conclusion serait trop hâtive. En effet, le .SHOP (267 noms de domaine litigieux en 2023) devance le .ORG (257 noms de domaine litigieux pour la même année). De même, les extensions .ONLINE et .STORE ont généré de nombreux noms ayant fait l’objet de procédures (respectivement 149 et 100, ce qui n’est pas négligeable). D’une manière générale, il faut être conscient que la part relativement faible des nouveaux gTLDs dans les procédures UDRP s’explique par les raisons suivantes.

Premièrement, le mécanisme de la Trademark ClearingHouse (TMCH) joue un rôle de filtre efficace en permettant aux propriétaires de marques d’empêcher l’enregistrement, par des tiers, de noms de domaine identiques à leurs marques pendant les sunrise periods. A titre d’illustration, la procédure D2023-0006 portant sur le nom de domaine <rebeccazamolo.store>, identique à la marque REBECCA ZAMOLO, aurait pu être évitée par l’adoption de mesures appropriées auprès de la TMCH (WIPO, D2023-0006, YZ Productions Inc. v. Yati binti Lanang, March 14, 2023). Il en va de même pour <bforbank.online> (OMPI, D2023-0094, Bforbank contre Alain Perrier, 8 février 2023) et <serco.live> (WIPO, D2023-019, Serco Group Plc v. Ronald Quinton, February 16, 2023). Le recours à la TMCH et à l’enregistrement de noms de domaine pendant les sunrise periods est d’autant plus crucial lorsque l’extension concerne un bien ou service pour lequel la marque est enregistrée (OMPI, D2023-0200, CABIFY ESPAÑA S.L. c. Jesús Fernández Matallanes, Federación Profesional del Taxi de Madrid, 1 de marzo de 2023, à propos du nom de domaine <cabify.taxi>). Il paraît donc nécessaire, pour les propriétaires de marques, de se tenir informés de la mise sur le marché de nouvelles extensions.

Secondement, les noms de domaine enregistrés sous de nouveaux gTLDs sont, le plus souvent, trop chers pour être intégrés au modèle économique des cybersquatteurs, ce qui refroidit les velléités de la plupart d’entre eux. Cependant, il convient de garder à l’esprit que certaines entités d’enregistrement proposent, de manière spontanée ou récurrente, des promotions pouvant rendre le coût d’un nouveau gTLD suffisamment attractif aux yeux d’un cybersquatteur. La surveillance des nouveaux gTLDs n’est donc pas une option, elle s’impose.

L’impossibilité d’appréhender le cybersquatting dans toute son ampleur

Les statistiques de l’OMPI ne reflètent pas avec exactitude la réalité du cybersquatting. En effet, il conviendrait également de prendre en considération les procédures conduites sous l’égide des autres institutions de règlement des litiges approuvées par l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN) :

  • Arab Center for Domain Name Dispute Resolution (ACDR) ;
  • Asian Domain Name Dispute Resolution Centre (ADNDRC) et ses quatre branches :
    • China International Economic and Trade Arbitration Commission (CIETAC) ;
    • Hong Kong International Arbitration Centre (HKIAC) ;
    • Korean Internet Address Dispute Resolution Committee (KIDRC) ;

    •  Asian International Arbitration centre (AIAC) ;

  • Canadian International Internet Dispute Resolution Centre (CIIDRC)  ;
  • Czech Arbitration Court Arbitration Center for Internet Disputes ;
  • National Arbitration Forum.

En outre, de nombreuses entreprises sont contraintes de déterminer des priorités dans leur lutte contre les multiples atteintes à leurs droits de marque. En effet, le cybersquatting n’est qu’un abus de marque parmi d’autres. Dès lors, les entreprises qui sont victimes de cybersquatting de manière récurrente doivent faire des choix et adopter une stratégie de défense comportant notamment la définition de priorités, le plus souvent, en fonction de la menace (par exemple si le nom de domaine renvoie à une boutique marchande, promeut des marchandises de contrefaçon ou est utilisé pour une campagne de phishing). De plus, nombreuses sont les entreprises qui ne disposent pas d’un budget suffisant pour détecter les atteintes à leur marque et engager des procédés ou des procédures pour les faire cesser. En aparté, les entreprises étant amenées à conduire des investigations de nature régaliennes ou para-régaliennes, la question de la fiscalité des services de protection des marques mériterait d’être posée. Quoiqu’il en soit, la proportion de cas de cybersquatting qui ne font pas l’objet de procédures est, par essence, indéfinie.

Ajoutons que sur les 6192 procédures administrées par l’OMPI en 2023, 1020 concernaient des country code Top-Level Domains (ccTLDs), soit 16% (les .CO (Colombie), .EU (Union européenne), .CN (Chine) et .AU (Australie) formant le quatuor de tête : wipo.int). Or il convient de rappeler que certaines extensions ne peuvent faire l’objet d’une procédure extrajudiciaire de type UDRP, dont le .DE (Allemagne : 17,6 millions de noms de domaine en 2023 : dnib.com) et .RU (Russie : 5,6 millions de domaine de domaine en 2023 : dnib.com).

Similairement, il n’existe aucune procédure s’agissant des noms de domaine frappés sur les blockchains tels que .ETH créé par Ethereum Name Service (2,14 millions de noms de domaine déclarés en 2023 : ens.domains) et les multiples « crypto-extensions » d’Unstoppable Domains, dont .CRYPTO, .POLYGON, .BITCOIN, .BLOCKCHAIN, .NFT, .DAO ou .GO (soit 3,8 millions de noms de domaine en 2023 : unstoppabledomains.com). Il est urgent que ce secteur se dote de procédures extrajudiciaires permettant aux propriétaires de marques de défendre leurs droits.

Bref, les statistiques de l’OMPI ne révèlent que la partie émergée d’un iceberg qui, celui-là, ne semble pas en voie de disparition. Pour protéger vos marques, surveillez et agissez ! IP Twins est à vos côtés.